Une production de céramiques artistiques à la Tuilerie-Briqueterie d'Aire Belle, Puget-sur-Argens, Var
Historique de la tuilerie :
En 1883, M. Emile Gavot, riche propriétaire issu d'une
famille pugétoise, décide de construire une
tuilerie-briqueterie au quartier dit "du moulin" ou de
"l'aire belle" au Puget de Fréjus *.
Associé à quelques représentants de la bourgeoisie
niçoise, il crée une société anonyme du nom de
"Tuilerie-Briqueterie d'Aire Belle".
En 1884, il ouvre deux carrières d'argile à ciel ouvert,
l'une à proximité de l'usine, l'autre au quartier des
Escaravatiers à Puget. La première a été remblayée
récemment, la seconde est toujours visible et forme
un petit lac près du domaine des Escaravatiers.
En 1885, il conçoit une marque de fabrique qui perdurera
jusqu'à l'abandon de la production de tuiles. Cette marque,
une hirondelle en vol, figure sur tous les papiers en-tête
et factures. Elle apparaît également comme signe
distinctif sur les tuiles plates mécaniques afin que les
maçons ne les mélangent pas, lors de la pose, avec des tuiles
très semblables produites à l'usine Bellevue de Fréjus
(cor de chasse), ou provenant d'une des nombreuses
tuileries de Marseille comme la tuilerie de la Méditerranée
(abeille) et la tuilerie Amédée Pierre (coeur enflammé).
En 1894, les affaires vont mal. La société est déclarée
dissoute et un liquidateur est nommé.
Entre 1894 et 1896, le liquidateur tente de redresser
la barre en empruntant de l'argent et il parvient à maintenir
l'usine en activité.
En 1897, la société change de nom et devient la "Société
Nouvelle de Tuilerie et Briqueterie d'Aire Belle".
En 1898, la signature d'Alfred Rossollin apparaît sur un
courrier sous la dénomination " administrateur délégué ".
En 1907, M. Honoré Rossollin achète la tuilerie pour son
fils Alfred.
En 1912, Alfred Rossollin hérite de l'usine à la mort
de son père.
En 1913 ou 1914, Alfred Rossollin vend l'usine à la
famille Costamagna.
En 1986, la fabrique ferme définitivement
* Ancien nom de Puget-sur-Argens.
Voir bulletin n° 3 (2002), p. 89.
Bulletin de la Société d'histoire de Fréjus et de sa région
N° 6 (2005)
63 Alfred Rossollin, un jeune homme à l'âme d'artiste :
Alfred Rossollin est né le 18 décembre 1863, à Buenos Aires,
en Argentine. Il est le troisième d'une famille de 9 enfants.
Son père, Honoré, originaire de Brignoles, est parti à l'âge
de 20 ans (en 1851), faire fortune en cette lointaine contrée
d'Amérique du Sud. Ayant atteint son but, il regagne
la France en 1865, accompagné de sa femme et de ses trois
premiers enfants. Ils s'établissent alors à Marseille, vivant
bourgeoisement
de rentes et de revenus tirés de leurs terres (1200 hectares)
nouvellement acquises sur la commune du Luc.
Aux environs des années 1897-1998, Alfred Rossollin
devient directeur de l'usine d'Aire Belle. C'est probablement
à partir de cette période qu'il met en place, parallèlement
à la production de tuiles et de briques, un atelier de
céramiques artistiques.
Il réside à Saint-Raphaël et figure sur les listes électorales
et sur les registres de dénombrement de la population.
Vers 1910-1911, il fait venir auprès de lui pour le seconder,
son neveu Eugène Rossollin, né le 31 août 1888 à Marseille,
ingénieur électricien diplômé de l'institut électro-technique
de Grenoble.
Alfred Rossollin dirige la fabrique jusqu'en 1913 ou 1914,
date à laquelle il
vend Aire Belle à la famille Costamagna, toujours
propriétaire du site aujourd'hui.
Pendant la guerre, il demeure probablement encore à
Saint-Raphaël, vivant de ses rentes. Son neveu Eugène,
réformé lors de son service militaire, s'engage
volontairement. Il obtiendra le grade de lieutenant d'artillerie, la
Légion d'honneur et la Croix de guerre.
A partir de 1918, Alfred Rossollin regagne définitivement
Marseille où il décède le 10 octobre 1947.
Il est enterré au cimetière Saint-Jérôme.
La production de céramiques artistiques :
La production de céramiques artistiques et de produits
émaillés se compose de vases, d'aiguières, de pichets,
de plats décoratifs, de cache-pots, de vide-poches,
ainsi que d'une multitude d'objets miniatures (vases,
chaudrons, chevrettes, gobelets, pichets). Le style et les
techniques employées s'inscrivent en ligne directe
dans la mouvance orchestrée depuis les années 1870
par une grande famille de potiers très renommés,
les Massier, de Vallauris. Les formes et les décors sont
largement inspirés d'une partie de la production de
Clément Massier, qui crée en 1883 "la poterie du
Golfe-Juan", après avoir travaillé plusieurs années
dans les ateliers de son père Jacques. Dans les années
1886-1887, Clément Massier découvre, ou plutôt redécouvre,
une technique très ancienne : le lustre, ou reflet métallique.
Cette technique, inventée par les arabes, atteindra son
apogée au XTVe et XVe siècles au sud de l'Espagne
avec la céramique hispano-mauresque. Elle est employée
par Alfred Rossollin à Aire Belle pour la partie la plus
élaborée de sa production. Les pièces lustrées offrent
de belles couleurs irisées, à dominante verte, rosé
et mordorée. Elles sont également décorées de motifs
délicats, floraux ou géométriques. On peut voir sur
certains plats des paysages de bord de mer, les vases
sont ornés de branches de pins, de chardons ou d' épis
de blé. Le thème naturaliste très en vogue en cette
fin de XIXe siècle, est généreusement abordé et offre
une grande variété.
Une autre partie de la production se compose de vases
plus simples, de couleur unie et sans décor. Les formes
sont élégantes, les couleurs éclatantes et lumineuses.
Nous ne connaissons l'oeuvre d'Alfred Rossollin qu'à
travers les pièces de céramique parvenues jusqu'à nous.
Il n'existe pas, à ma connaissance, de catalogue ou de
registre faisant état de l'importance de la production.
Le nombre d'ouvriers attachés à l'atelier artistique ne doit
pas être très élevé. Le recensement de la population,
opéré en 1911 à Puget-sur-Argens, fait apparaître
cependant l'emploi de trois personnes très qualifiées.
Il s'agit de la famille Maccario. Le père est chimiste,
les fils sont mouleur et peintre sur céramique.
Il est donc évident que ces personnes ont travaillé à la
fabrication des vases. Il est même probable qu'ils aient
amené avec eux un savoir faire et des techniques apprises
au sein d'autres ateliers. Nous ne savons pas grand
chose sur l'aire de diffusion de la production.
Les céramiques sont-elles vendues directement
à l'usine ou sont-elles présentées dans les vitrines
des boutiques locales ?
Nous savons par contre qu'elles sont vendues à Lyon
par un monsieur Casset, 32 rue de la République.
En effet, quelques spécimens portent encore l'étiquette
de ce magasin collée sous le talon.
La technique du lustre :
Le lustre est une solution liquide ou huileuse composée
d'oxydes métalliques (cuivre, argent, or, platine, ...)
mêlés à un solvant (huile organique ou acide tel que
le vinaigre). Cette solution est appliquée directement
au pinceau sur une pièce de céramique déjà cuite et
glaçurée.
On trace ensuite le décor qui est peint à l'aide d'oxydes
de différentes natures, ou bien incisé avec la pointe
d'un stylet. La pièce est à nouveau cuite, cette fois
à petit feu (600°C). Cette dernière cuisson est cependant
très particulière et demande de la maîtrise et une attention
de tous les instants. En effet, il faut, en cours de cuisson,
opérer une phase de réduction qui consiste à réduire de
façon significative la teneur en oxygène de l'atmosphère
du four , et à augmenter le taux de gaz carbonique. A la
sortie du four, les pièces sont noires. Elles doivent être
soigneusement nettoyées pour révéler enfin leurs superbes
reflets métalliques.
Les marques de fabrique :
Les pièces simples (unies) sont marquées sous la base
d'un moulin en creux accompagné de "AIRE BELLE"
et " FRANCE".
Les pièces lustrées sont signées sous la base
d'une marque peinte:
"AIRE BELLE FRANCE AR",
"AIRE BELLE AR FRANCE",
"AIRE BELLE FRANCE",
"AIRE BELLE AR",
"AR AIRE BELLE",
"A.BELLE AR".
Certains possèdent en plus la marque au moulin.
Les petites pièces et les miniatures possèdent une
étiquette ovale, rouge et blanche, collée sous la base,
où est inscrit "Reflets métalliques d'Airebelle
à Puget-sur-Argens".
Bulletin de la Société d'histoire de Fréjus et de sa région
N° 6 (2005)