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Rio de la Plata le 8 septembre 1846

Mes chers parents,

 Me voici définitivement installé chirurgien major de l'Agathe Brick Goelette que l'on a donné en remplacement de l'Eclair qui est hors service. Nous sommes en croisière pour essayer ce bâtiment et nous allons rentrer et nous allons rentrer pour quelques jours à Montevideo pour repartir ensuite et aller prendre la station de l'Uruguay au Sotto ou à Peyssander. Vous devez avoir reçu une lettre dans laquelle je vous annonce ma nouvelle destination et les raisons qui m'ont décidé à accepter ce nouveau poste. Aussi je ne vous les répéterai point, si ce n'est la principale: que je n'aurai dû retourner en France avec la frégate, attendu qu'il y a dans la station des chirurgiens plus anciens que moi et qu'ils ont toutes espèces de droits de rentrer en France. Je vous dirai de plus qu'il est fortement question de faire continuer la campagne au Gassendi. Le chef d'état major m'a même demandé si je ne serai pas bien aise de continuer avec mon ancien bateau en cas qu'il finit sa campagne. Mais je lui ai répondu que je n'en n'étais pas aise du tout, attendu que si cela a lieu, le Gassendi en a encore pour 3 ou 4 ans, tandis que moi, dans ma nouvelle position, je me trouve infiniment mieux et je pourrai à peu près sûrement rentrer en France avant deux années. Une seule chose me contrarie fort, c'est que je ne pourrai pas aussi souvent vous donner de mes nouvelles ainsi que recevoir des vôtres, car les communications avec la Riviere sont fort rares. Surtout, ne mettez plus sur l'adresse ........ infirmier, car n'étant plus à bord d'un navire où je pourrai recevoir vos lettres, au reçu du paquet, il pourrait s'en perdre, comme je suis persuadé qu'il s'en est déjà perdu parce que l'adresse n'était pas exactement mise.. Je reçois dans la Rivière la lettre que tu m'écris du 23 août où tu me dis que depuis 4 mois tu n'as pas reçu de lettre de moi. Celà m'étonne fort, car' je n'ai pas passé un mois sans t'écrire; aussi, je suis persuadé qu'il s'est perdu plusieurs lettres de moi.

Or, comme cet accident peut se renouveler fort souvent, n'en sois pas autrement en peine car le pays est fort sûr, la guerre est une vraie plaisanterie et je t'écris toutes les fois que je trouve l'occasion. Je suis certain du reste que tu dois maintenant avoir reçu plusieurs lettres de moi et que, pas conséquent, tu es tout à fait tranquillisé. Une seule chose me fait de la peine, c'est que tu aies cru un moment que je ne t'écrivais pas à cause des reproches que tu me fais. Tu me crois donc l'esprit bien mal fait pour penser que je ne vois pas que c'est parce que tu m'aimes que tu me fais des reproches que, du reste, je m'étais déjà faits bien des fois moi-même, car, malgré ma légèreté, j'ai encore le sentiment du devoir. Je vous aime trop pour ne pas savoir combien vous m'aimez. Alors, rien de vous ne peut me fâcher. Mais en voilà assez là-dessus. Me voici encore pour un an ou deux dans ce pays, après quoii j'espère qu'il me sera donné de rester auprès de vous et de vous rendre par mes soins une partie de ce que vous avez fait pour moi. Je reçois avec bien du plaisir les détails que tu nous donnes sur la charmante petite Mathilde que j'ai tant envie de voir et que j'espère trouver aussi grande que gentille à mon retour. Fais à mon oncle Louis mes félicitations sur la délivrance de ma tante qui, je l'espère, aura été aussi heureuse que possible.

Nous arrivons à Montevideo et on nous annonce qu'un bâtiment va partir aujourd'hui même. Aussi, comme je veux que vous receviez ma lettre le plus tôt possible, je me hâte de l'achever en vous disant que je me porte toujours parfaitement bien, qu'on parle beaucoup de la paix prochaine, ce qui rendrait le pays, la station, la plus agréable du monde.

Adieu. Je vous embrasse un million de fois et un autre million pour Mathilde. Mille choses à la famille Louis et Matthieu, à la famille Alziari et à mes tantes Jourdan lorsque vous les verrez ou écrirez.

Votre fils qui vous aime. F. Maurin

Nous apprenons le prochain départ du Cassendi pour les îles Marquises. Il y aura prochainement un autre navire partant pour la France. Je vous écrirai de nouveau.