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1903


1er Janvier. - Rien de nouveau pour les occupants de Bir-Alali mais ce  premier jour de l'année nous fait jeter les yeux sur la Mère-Patrie, vers notre belle France où sont  ceux qui nous sont chers : notre pensée vole vers eux et j 'enveloppe dans mes "voeux de bonne année" parents et amis. Ici, l'affection des uns pour les autres se confirme par de cordiales poignées de mains:   on se souhaite la santé et l'heureux retour en France quand l'heure  sera venue. Est-ce pour cette année ou pour l'autre? Je ne sais, mais je pense tout de même que notre relève viendra vers le milieu de 1903.                                    

                                            
Une sortie  est  fête  dans les premiers jours de Janvier sur TI0NA,  champ de bataille du 2 xbre. Le Commandant  s'est fait écrire  sur le  lieu même par le Lieutenant  POUPARD les phases  de cette attaque;  rentrée à Alali le  surlendemain.  Vu des crânes et des ossements de l'ennemi tué.
Une nouvelle  sortie  en nombre  cette  fois,   est  faite   sur KOLOGO à 5 jours de marche  à l'0uest  de Alali.  Le   Commandant  part avec un peloton  de  tirailleurs montés à chameaux et  un peloton de nos spahis.  Je reste au poste.
Viennent  souvent des cavaliers Miaïssas et des Fizganes, souimis en assez grand nombre, et jouant pour notre cause  (ou ayant l'air de jouer) le rôle d'auxiliaires. Mais il n'y a pas à se fier à ces gens-là (quoique moins noirs que  les autres, ils ont le teint blanc-bronzé,  tête  de l'Arabe d'Algérie) Les 2 et 4 Xbre, aucun-d'eux n'a paru pour tomber sur les Kindis dont  ils connaissaient, il n'y a pas l'ombre d'un doute,  la présence aux environs du poste.  Ils ont souhaité  certainement notre perte ce Jour-là.  C'est le contraire qui a eu lieu, ils reviennent alors auprès de nous, qui les écoutons au lieu de les chasser... 

-L'oasis de Bir Alali est riche en verdure et en puits, mais moins en dattiers. Elle est très grande et on ressent un réel bien-être quand on s'y promène. II y a de grands arbres, de l'ombre et de la fraîcheur. L'eau est abondante et bonne, tous les chevaux viennent s'y abreuver. On y chasse la perdrix et l'antilope de même que dans les oasis voisines où le gibier  (pintade surtout) ne manque  pas. J'y ai  fait  quelques bonnes chasses le dimanche en compagnie de l'adjudant PELISSON et du sergent-major Guillemain. Nous partions à cheval naturellement, suivis de nos boys  qui rapportaient le butin.
Bir-Alali, appelé par les noirs "puits de Dieu",  est un point d'eau important que veulent  reprendre  les Touaregs. Nombreuses sont  les oasis dans le Kanem-Nord, de N'Gouri  à Alali   surtout, on y voit de bien petites cultures de  blé   (ghemma)  et  davantage du cotonnier.

Le mil pousse en dehors des oasis, dans le sable, n'importe où d'ailleurs,  certaines oasis sont remplies de dattiers d'une hauteur qui atteint parfois  20m et  au-dessus.  Cet arbre  est droit, le  tronc nu jusqu'aux 2/3 de sa hauteur et se détachent alors les branches d'une façon régulière et au coeur de  ces branches apparaissent les petites  tiges  qui  portent la datte.  Ce fruit est vert et de la grosseur d'une petite prunelle , des buissons,  au mois de Janvier. La maturité a lieu en Juillet.  .
Dans  les derniers  combats, quelques femmes des Kindis  sont restées entre les mains du poste, les Européens d'Alali les ont recueillies;  je les ai trouvées, ma foi,  jolies.

Elles s'habillent mieux que les autres femmes du Bornou, du Chari, Baguirmi,  etc.  et portent  sur la tête une sorte de châle  comme certaines villageoises de France.

Leur visage n'est pas noir et il est net sans tatouage, les  lèvres peu épaisses et elles ne se fourrent  pas des morceaux de fer ou de cuivre dans le nez ou la lèvre comme celles des autres races.

Avec cela, des dents ravissantes d'une blancheur nacré bordées par des gencives d'un rouge de sang. Elles sont bien plus fières que les autres femmes, se sentant supérieures  par leur race  plus civilisée. 
Tous les soirs au poste, branle-bas général.  Les hommes sont exercés à prendre leur place respective en temps de combat,en cas d'attaque de nuit. La  température est  ici de 6° la nuit et dans l'oasis,  le thermo du jardin descend jusqu'à 3°.  Il fait relativement froid à cette époque-ci.
La Colonne est rentrée de KOLOGO le 22. Plusieurs villages ont été trouvés abandonnés, prévenus de notre arrivée, les habitants fuient.
Pendant   le  cours de  cette reconnaissance, le  Capitaine, Ct, le Vétérinaire  et moi  avec un peloton  de nos  spahis,  nous avons fait une reconnaissace d'une journée à l'Est de Alali.  Les quelques villages traversés ont  eu l'air plus rassuré et les habitants restaient  chez eux. Mais néanmoins, il court dans cette région un vent  d'hostilité  contre  les Masarras, on  lit ce  sentiment sur la face des gens.                                  

            
4 janvier.  - Nos deux pelotons quittent Alali le 24 Janvier, sans avoir pu assister à un retour offensif des Senoussistes et dissidents......
J'espère  que je  reviendrai dans ce  poste. à la reprise d'une, opération de ce genre.     

                         
Janvier. - Nous arrivons à N'GOURI  (Fort MILLOT). Le Commandant LARGEAU n'a pas quitté  encore Bir-Alali.                                               
Janvier.  - Arrivée à Madou. Archipel des îles Kraouas autour du lac Tchad, rive est; nous entrons enfin dans notre nouveau poste  que nous n'avions occupé que quelques jours. CORNUT nous reçoit avec joie, il commençait à s'ennuyer avec le sellier BOZON. Le chef PLOUCHART était rentré, attendu depuis une quinzaine de jours ..mais l'ami FRED s'ennuyait tout de même de mon absence prolongée.
1er Février.  - C'est  charmant, au lendemain de ma rentrée à Madou j'ai la joie de recevoir des nouvelles de France:  le courrier nous arrive ce soir, porté par nos spahis détachés à N'Gouri. J'ai le plaisir de lire une lettre de ma chère soeur,  longue lettre où mon cher frère GASTON a rempli la marge et les angles et où il est écrit que la santé est bonne au sein de la famille. Cette lettre a dissipé mes inquiétudes et aussi ma mauvaise humeur contre père et mère que j 'accusais de ne pas m'écrire, car 3 courriers sont  arrivés sans m'apporter la lettre à enveloppe bleue de Salon, dont la vue seule me fait  bondir le   coeur.  Ces nouvelles sont pourtant déjà anciennes, MARIE-LOUISE me les donne avec sa plume du mois d'Octobre et nous sommes en février! Je n'ai reçu que deux lettres à ce courrier.

Ah! que le service postal, fait à la Colonie par des militaires, (car M. MOUGEOT n'a pas encore détaché de son personnel dans un pays aussi perdu), se fait mal:  une grande partie des lettres se perdent et combien de colis,  postaux ou autres, arrivent  tard et  soulagés de la moitié des objets qu'ils  renfermaient  en France !  les fonctionnaires civils,les sergents charges de la poste dans les  différents postes civils et militaires sont bien coupables d'être aussi négligents et peu sérieux;  ils oublient parfois que la correspondance est un bien sacré et  que si loin de la Mère-Patrie privation de nouvelles ou de quelques vivres de conserve supplémentaires (qui sont si souvent détournés de leur vraie destination} ont un effet désastreux sur la santé  et le moral de leurs camarades.
                                                                                      
Il est fâcheux de constater pareille chose chez des hommes de la même famille coloniale.

Pour mon compte, je n'ai reçu que 2 fois les N° du "Petit Marseillais* qui me  sont envoyés mensuellement de France,  sans compter les journaux illustrés que je n'ai jamais vus.                                                                           
L'existence s'écoule avec calme à Madoù; hommes et chevaux ayant besoin de repos,  le Capitaine Ct nous laisse la paix. On se distrait soit à la pêche, dans le bahr qui ferme le derrière de notre camp, soit à la chance en tirant pintades et lièvres.
Le Capitaine Ct le  cercle nous envoie une douzaine de jeunes chevaux jolis..et de bonne taille, variant entre lm40 et 1m45, provenant de l'impôt perçu dans les îles du Tchad. Bonne ressources pour l'Escadron,le  Capitaine  Commandant  réforme aussitôt autant de rosses usées et finies,  et notre Cavalerie est ainsi retapée.                                     

              
Je garde toujours mon fidèle destrier dont je suis content, car chose essentielle et rare chez les chevaux du pays, il ne blesse pas pendant les longues routes sur lesquelles il m'a déjà porté. C'était le cheval de l'ex chef de l'Escadron CHAUCHOY, avec lequel il a fait toute la campagne dans le Bornou contre RABAH.
7 février.  - II est dit que je ne ferai pas long feu à Madou. Nous sommes partis ce matin pour former la colonne du BAHR-el-GHAZAL avec des tirailleurs que nous trouverons à MASSAKORI. Nous devons aller combattre les Krédas, tribus nomades, pillardes et insoumises.

A Massakori, nous devons prendre les ordres de détails et nous renseigner sur les points occupés par les Krédas. CORNUT fait partie de la colonne, lui et moi avons nos pelotons bien réduits.
Nous gagnons MassaKori par DOUMDONNI et DIOLOP, chemin parcouru à  notre arrivée à Madou en décembre dernier.
10 février. - Nous arrivons à  MASSAKORI.  Le Commandant LARGEAU, rentrant, d'Alali est au poste, le lieutenant GUEX,le sergent DUPUIS et une section de Tirailleurs sont présents depuis la veille, mais! quelle déception nous est réservée!  Contre-ordre est donné pour la marche de la colonne, nous ne partons pas !! La cause:  pas d'eau pendant deux jours dans la direction suivie par les Krédas.  Impossible de les saisir,  du moins pour le moment.
12 février.  - Les tirailleurs seuls, emportant 20 tonnelets d'eau à dos de chameaux et chacun d'eux porteur d'une  "gherba" ou peau de bouc, pleine d'eau,  sont partis ce matin, non pas à la recherche des Kirdas, mais vers Moïto pour s'emparer d'un chef de village. Nous partons dans la journée pour rejoindre notre poste, tous fâchés da ce contre-temps qui nous prive d'une affaire qui promettait d'être  intéressante,  car les Krédas, noirs très craints de  leurs congénères passent ici pour insaisissables. Cette réputation leur est acquise depuis l'année dernière où une colonne, commandée par le Capitaine BELLION (lancée  à leur poursuite), ne put ni les trouver ni les frapper.
15 février - Rentrée à Madou le 15.Je me réinstalle dans ma petite case en paille,       

                                
16 février.- J'ai dormi cette nuit au mileu d'une multitude de rats qui faisaient un vacarme effrayant en galopant sur mes nattes. J'ai allumé plusieurs allumettes et chaque fois, la clarté m'offrait un spectacle amusant à tout autre heure de la journée mais pas la nuit:  des rats faisant l'Ecole de Peloton et disparaissant aussitôt à la Charge  dans leurs trous, ils  se promenaient sur ma table, marchaient dans mes assiettes, entraient dans mon quart et laissaient partout des traces indécentes de leur passage. Ils avaient occupé mon logis. pendant mon absence, mon "ange noir" n'ayant pas habité chez son maître , mais dans sa case personnelle où je la relègue dans la journée pour faire sa cuisine, laquelle fume des odeurs peu agréables.
La graisse de boeuf ou de mouton arrose abondamment la marmite où cuit la farine de mil et où se ramolissent des morceaux de viande d'une propreté douteuse, qui, pendant plusieurs jours au préalable ont séché et durci au soleil. Viande qui prend ici le nom de viande "emboucannée.       
Malgré ces préparatifs peu appétissants, j'ai mangé bien des fois de cette cuisine de bougnouls, quand, en route,les vivres manquaient et ma foi, je trouvais le mil bon et la sauce abominable. Par ex. , la farine de mil bien pilée et bien cuite, servie dans la calebasse, sous forme d'un gros pâté rond, ne me déplaît pas, elle a bon goût et nourrit énormément. Ce plat se nomme "l'acidé". Nos spahis qui vivent aussi de mil, c'est leur principale nourriture (ils en  touchent 1g par jour chacun avec 3 ou 400gr de viande et 15gr de sel), se rassemblent à l'heure du repas,  5 ou 6 de même race:  Sénégalais et Arabes ensemble, (J'ai vu parfois les premiers mêlés aux seconds) autour d'une ou deux calebasses de mil entouré de morceaux de viande, mouton ou boeuf... le tout noyé dans une sauce de couleur verte ou alors dans du lait tourné et aigri, appelé  "lébeu"  qui n'est presque plus liquide et chacun  plonge sa main droite (quelquefois les quatre doigts ou l'index et le majeur dans la substance en question, en retire une grosse boule qu'il roule dans sa main et plonge le tout dans sa bouche. L'usage de la cuillère ne leur paraît pas pratique  et  d'ailleurs,ils n'en ont pas. Les femmes, celles des spahis, ou leur boyesses, qui ont préparé cette pitance mais qui mangent à part, jamais avec l'homme mais entre elles, apportant à leurs maris l'eau dans les "broumas" et à tour de rôle chacun plonge son museau noir dans le liquide. La boisson habituelle est l'eau mais, parfois, surtout au moment du paiement des thalers  (avance de solde faite aux spahis tous les mois; on n'a pas pu encore  les payer entièrement, faute d'argent).  Ceux-ci achètent du mil et des femmes très habiles font en 4 jours, avec la farine de mil, une boisson agréable à boire  que, pour mon compte, je bois ici avec plaisir,appelé  "morissé" ou "pipi", qui rappelle le cidre ou la bière. 

Cette boisson peut être préparée en moins ds temps:  dans ce  cas,  on ne la laisse pas fermenter;  le liquide est épais et de couleur blanche;  il prend le nom de  "acrabech" la même boisson mieux préparée de  couleur rouge prend le nom de "belbel" mise en bouteille il faut solidement attacher le bouchon, sinon celui-ci  saute.

Mais quand cette boisson est faite, les noirs en font une telle consommation, qu'ils se saoûlent comme des Polonais (soukrane urogue). Je bois très souvent de cette boisson à mes repas, elle me permet d'économiser ma ration de vin.                        
Pendant la fin de Février, l'inston est reprise au camp de Madou:   je monte à cheval tous les jours pcur remettre nos hommes pendant quelques heures sur le carré, puis je fais de l'Ecole de Peloton.
Beaucoup de combats à pied (très employé ici dans la réalité) et de l'emploi de la carabine à cheval. Nous avons consacré entre temps quelques heures aux tirs d'inston, une cible faite d'une peau de boeuf, encadrée de 4 piquets et plantés en terre constitue le seul objectif; CORNUT y colle les journaux du Matin qu' il barbouille de poudre de charbon sur une surface déterminée ressemblant vaguement à une silhouette d'homme  et nos spahis criblent de balles la peau de boeuf à2, 3 et400m. Le champ de tir ne permet pas des feux à de plus grandes distances.
Nous faisons faire également des tirs collectifs: feux de salve à volonté. Bref , nous brûlons un stock de cartouches M9 86 que le poste de Fort Lamy a mis à notre disposition, pour les tirs,et cela parce que 18% de ratés dans les caisses de cartouches qui ont dû prendre un bain dans les pirogues.
Il m'en est arrivé une bien bonne pendant les quelques séances de tir: Commandé avec mon peloton pour aller au tir à 2h, juste après le réveil de la sieste, heure de la journée où le soleil encore haut est brûlant et ses rayons dangereux, je restais sur le  champ de tir de 2h 1/2 à 4h environ,  debout, le soleil sur la tête et faisant peu de mouvement puisque je restais près des tirailleurs pour les surveiller.
Vers la fin de la séance, en montant à cheval pour rentrer au camp,  je  sentis un léger mal de tête; arrivé au  camp 10 minutes après et pied à terre, je crus que  j'allais tomber, mes yeux papillotaient. Je fis un effort et me retins tout de même au sol. Le Capitaine Commandant me voyant et ne s'apercevant de rien, me demanda le rendu-compte de la séance de tir; je lui répondis en bafouillant. J'entrai dans ma case et n' eus que le temps de me laisser tomber sur mon lit, la tête me brûlait, sur le coté  gauche seulement, et je   sentais ma raison  s'égarer .... 
J'appelai CORNUT et PL0UCHART,  dont les  cases étaient voisines de la mienne. Ils vinrent aussitôt mais je ne pus proférer que des paroles inintelligibles; la voix me manquait et  s'arrêtait dans ma gorge. Le Vétérinaire vint (notre Docteur) et m'apprit que j'avais un bon commencement d'insolation , le Capitaine vint aussi et me dit:   "Je ne suis plus surpris maintenant que vous m'ayez bafouillé il y a un instant, je ne sais quels mots". Je devenais maboul ! J'avais reçu, comme on dit des vieux coloniaux; le coup de bambou. On m'enveloppa la tête de serviettes mouillées et le Vétérinaire m'appliqua un  Rigollot à chaque jambe aux mollets. Sur ce, je m'endormis,  j'avais aussi de la fièvre. Je m'éveillais le soir bien mieux,les cataplasmes m'avaient bien'tiré le sang. J'en fus quitte pour une petite insolation. Je  devais cet accident à mon casque, en mauvais état  qui, par suite ne me protègeait plus contre les rayons solaires. Le Capitaine qui en avait 2,m'en offrit un,' que j'acceptai avec plaisir.
 Dans cette fin Février, j'eus encore deux jours de repos forcé, un accès vint me visiter, mais une bonne purge et quelques grammes de quinine en eurent raison.
J'eus sous les yeux à Bir Alali deux rapports:  1 politique et 1 militaire que le Commandant LARGEAU adressait au Ministre et que  cet officier supérieur se  chargea  de copier en deux expéditions:                                              
J'y lus des choses très intéressantes  entre autres celle-ci: "que  la conquête du Kanem, qui nous valut la mort de plusieurs officiers et de nombreux indigènes était une faute,    car nous n'en retirerions rien, alors que, nous eûmes mieux fait d'occuper le Baguirmi, contrée plus fertile et voisine du Chari, a-V^oir ainsi sous nos mains nos troupes au lieu qu'elles soient disséminées sur un immense territoire. Et maintenant. que la conquête du Kanem est  accomplie, il nous y faudra rester. C'est ainsi que Bir Alali, le poste extrême du Kanem, n'a pas un grain de mil à récolter et qu'il faut que de oontinuels convois partent de Bol ou de N'Gouri pour ravitailler ce poste, qui a d'ailleurs un an de vivres dans  ses murs....  dans  ses murs est une façon de parler, je veux dire dans sa "zériba", car les pierres font défaut dans ce pays du sable pour élever des fortifications. Le système défensif pratiqué dans chacun des postes est la "zériba", c'est-à-dire un large fossé avec terre rejetée du côté de l'intérieur du camp et un amas de branches épineuses  (5m de larg.} à l'extérieur. Le camp de forme carrée ou triangulaire parfois est ainsi entouré et gardé.  
Dans notre camp de spahiesà Madou, nous n'avons rien de tout cela, on peut y entrer par toutes les portes. II est vrai quel'Escadron voyage beaucoup et que nous n'avons pas le temps de nous barricader.                                    
Je reviens aux rapports du Commandant qui terminait en demandant le bénéfice de la campagne  de  guerre pour les troupes du Chari et du Tchad, et dans cette même année 1902  (le rapport était écrit fin Xbre)  sept opérations militaires avaient eu lieu, savoir:
1° Le 20 Janvier, à BIR-ALALI (Touaregs) sous les ordres du Commandant TETARD;
2° Le ler Juin,   à BIR-ALALI (Touaregs) sous les ordres du Capitaine BABLON;
3° Le 11 Août à Korofou (Touaregs ) des tribus de KANGER et d'Abd-el-KADER, sous les ordres du Capitaine BABLON;
4° Le 24 à JEDDI  (Touaregs)  sous les ordres du Lieutenant DUPERTUIS;
5° Le 26 & 27 8bre à DJAHIA  (Kerdis)  sous les ordres du Capitaine DANGEVILLE;
6° Le 2Xbre à TIOUNA (Senoussistes et dissidents)   sous les ordres du Lieutenant POUPART;
7° Le 4Xbre à BIK-ALALI (Senoussistes et dissidents) sous les ordres du Capitaine FOUQUE.
La 8e affaire pourrait ne pas tarder à éclater, car il nous arrive des nouvelles de Bir-Alali ainsi conçues: de forts partis Touaregs et Ouadaïens sont annoncés pour la Nouvelle Lune... Je ferais volontiers un  nouveau voyage à Àlali mais je voudrais cette foisque ce ne soit pas pour la peau.
1er Mars. - Aujourd'hui, 1er Mars, j'ai souffert d'une rage de dents qui ne m'a pas laissé un instant de repos. Je n'ai pu m'asseoir à table, tant la douleur était forte.

2  Mars.  - Toute la nuit, comme le jour, j'ai souffert de ma dent. Je me suis levé plusieurs fois, ne pouvant dormir, je me suis promené dans la cour en fumant. J'ai versé sur ma dent plusieurs drogues mais à peine  calmée, la douleur reprenait avec plus d'intensité. C'est  énervant, je ne  puis me reposer et demain  pourtant, il  faut se mettre en route.
3  Mars  - Mon état n'a pas changé. Dans l'espoir de guérir en route, j'ai quitté Madou ce matin à 4h 1/2 avec la colonne: 25 spahis, le  Capitaine Commandant, le Vétérinaire, Maire, CORNUT, le trompette. Arrivé  à COULBOUKAO où le Capitaine décide de  passer la nuit,   je souffre  tellement  que je ne puis tenir en place. Je  préfère continuer la route jusqu'à N'Gouri; le Capitaine y consent; je repars à 4 heures avec mon ordonnance et j'arrive au poste à 7h.
Je ne puis souper, je bois du lait; le Lieutenant BROUCHET d'Infanterie Coloniale me donne un Elixir quelconque  qui me calme beaucoup la douleur, à ce point que je vais me coucher rapidement pour profiter de cette accalmie.
 J'ai mieux dormi cette nuit; j'ai reposé jusqu'à 2h du matin, puis je me suis levé pour faire des tours dans la cour: le mal revenait.
Je souffre moins pourtant, car j'ai maintenant la fluxion dentaire, ma joue droite me bouche l'oeil. La colonne, arrive à 9h du matin et  doit repartir demain dans la direction  de MONDO pour surprendrequelques campements de Nouarma dissidants.
5 Mars. - II m'est impossible de suivre la colonne dans l'état où je suis,le Capitaine me laisse à N'Gouri. La colonne part ce matin avec 10 tirailleurs et 10 auxiliaires Bandas pour la garde du convoi. Le Lieutenant GUEX du poste prend part à l'expédition.
Je vis ici au milieu des sous-officiers d'Infanterie Coloniale bons camarades.

Malheureusement, ma figure a doublé et il m'est impossible de remuer les mâchoires pour manger;  je le regrette car le  jardin du poste fournit de beaux légumes qui me font envie; 

j'en suis privé depuis si longtemps avec la vie de brousse que j'ai mené  jusqu'ici.  Je bois du lait, c'est maigre.  Mais je ne  souffre  plus de ma dent, c'est l'essentiel !

11 Mars.   - Retour de la colonne avec 300 bêtesà cornes, 200 moutons, 10  chameaux, 6  juments suitées, enlevés aux Houarma.  L'affaire a été  insignifiante au point de vue militaire,  il n'y avait aux campements  que  5 ou 6 hommes gardant les troupeaux. Ils se sont enfuis et le tour a été joué.
I3  Mars.  -  L'ami CORNUT retourne à Madou pour aider PLOUCHART dans les travaux de comptabilité,
14 Mars.  - Nous sommes partis ce matin:  les spahis. avec le Capitaine et le Vétérinaire pour faire une  tournée  de  police  entre N'Gouri et Massakori, où des rôdeurs attaquent quelquefois nos convois et  ont enlevé, paraît-il, le   dernier  courrier pour la France. 

Les deux tirailleurs porteurs du courrier ont disparu également.
17 Mars. - Arrivée à Massakori où nous nous sommes rendus par le  chemin des villages, Nous avons interrogé les chefs, mais naturellement nous n'avons recueilli aucun renseignement  sur l'existence des pillards signalés: tous sont blancS d'âme comme ils sont noirs de peau.

Je gagerai fort que ces dévaliseurs de convoi appartiennet à ces villages-là, et celà parce que les tirailleurs auxquels le chemin du village est rigoureusement interdit  (il existe une deuxième voie,celle des puits)  y passent quand même et les habitants se vengent ainsi des exactions commises par beaucoup d'entre eux.
18 Mars.  - Le lieutenant d'Infanterie Coloniale, BOISOT,  Commandant le poste apprend au Capitaine que de nombreux campements de Kréda se sont établis à 60km environ à l'Est de Massakori. De petits groupes, pillards de tribus,  dirigent des coups de mains contre nos villages du Bagana,  enlevant femmes et bétail.
19  1-îars.  - Ls  Capitaine décida  d'aller les  campements.  A 4h 1/2 du  soir, Nous  quittons le  poste:  le  Capitaine Commandant, le  Lieutenant BOISOT, le Vétérinaire et moi, 21 spahis, 12 tirailleurs et Pandas, 16 cavaliers Arabes ou Kanembous avec BOUBAKER,   sultan du Dagana,  7 chameaux emportant 4 jours de vivres, Européens et indigènes et une réserve d'eau.
20  Mars.  - Nous avons marché toute la nuit; halte dans la brousse à 10h du matin; départ à 4h; à 5h arrivée de la colonne à BIR-el-HAMEJ (34Km de Massakori). Nous sommes désagréablement surpris en trovvant  le  puits comblé par les Krédas qui  ont jeté dedans du bois, de la terre et autres saletés. On travaille aussitôt au déblaiement du puits. Apres 6 heures de travail, les travailleurs n'ont pas encore trouvé l'eau. Il est préférable de quitter lees lieux. Un brigadier indigène de mon peloton vient me supplier de lui donner à boire:  "Moi, y en a beaucoup soif !" me  dit-il . "Tu as déjà vidé ta peau de bouc ?"  lui  deimandai-je   - "Non, y en a cassé, l'eau y'en a tombé tout" Je lui tendis mon bidon qu'il me vida presque entièrement.                                               

La colonne s'est mise en marche à minuit sans avoir pu faire boire les chevaux.
21 Mars. - Nous marchons jusqu'â 5 heures 1/2 et trouvons le puits de BIR ASSAL à 22km E N E de BIR-el-AHSAD... Fort heureusement les Kridas n'ont pas comblé celui-ci. Le puits qui a une vingtaine de mètres de profondeur, fournit une  eau abondante et potable ; de grands abreuvoirs 1'entourent. Tout le monde s'abreuve  sans se faire prier.                       

                                
Le convoi est laissé avec son escorte à Bir Assal.  La colonne repart à 6h 30'  vers le Nord-Est et traverse une région de plateaux sablonneux, le terrain est ondulé, découvert et  découpé par des ouadis riches en végétation d'arbres: hyphènes,  acacias.
Nous passons à 7h 30  à BIR MELHATA où nous trouvons de nouveaux indices du  passage  des Krédas avec leurs troupeaux.  La marche est reprise  vers le  Nord-Est.  A 8h  50'   apparaissent tout à coup devant nous,  au  delà d'un larGe  ouadi  sans végétation, plusieurs campements.  Notre approche  est  favorisée  par une tempête de sable  qui  forme un brouillard et nous cache  à la vue  des Krédas. Nous prenons le galop,  en colonne de pelotons,  les auxiliaires aux ailes et débouchons dans l'ouadi. Nous nous trouvons bientôt en présence des troupeaux s'abreuvant aux puits et gardés par des gens armés de  sagaies.
Ceux-ci surpris par les coups de feu lancent leurs  sagaies dans nos rangs;  mais ne tardent  pas à s'enfuir dans toutes les directions, quelques-uns sont à cheval. Le Capitaine avec le 2° Peloton se  porte sur 2 campements,  situés devant nous et me laisse en réserve près des puits. Le 2° Peloton disparaît poursuivant les fuyards perdant plus d'une heure. Pendant ce temps j'ai à repousser un retour offensif des Krédas venus des autres campe-
ments sur notre droite, pour tâcher de reprendre leurs troupeaux restés sous ma garde au puits. Je vais au devant d'eux avec mes quelques spahis que je dispose en fourrageurs. Les coups de fusil n'arrêtent pas, les sagaies volent à côté de nous et au-dessus de nos têtes. 

Je chasse facilement et je poursuis ces gens en leur tuant une vingtaine d'hommes. 

Personnellement, j'en couche 3 à terre avec mon revolver. On se bat à 20m de distance. Ceux qui sont à pied se cachent dans les hyphènes (brousse épaisse) et ainsi garantis nous distribuent quelque sagaies de jet, sans nous faire beaucoup de mal heureusement.
Près de moi, mon brigadier indigène BOUBOU N'DIAYE reçoit une sagaie sur sa sacoche gauche. 

Je me retourne et voie le bonhomme se dissimuler dans les hautes herbes de la brousse, je vise et là m'en arrive une bien bonne:  la cartouche rate.  Je suis désagréablement  surpris;  l'homme fiche son  camp.  Je ne m'en occupe plus, ayant mieux à faire devant nous.

Dans la poursuite, mes spahis trouvent d'autres boeufs,  je reviens aux puits.  Il était I0h du matin, tout le monde  est là. Quelques prisonniers ont été faits; des  femmes et  enfants, en  totalité  des captifs des Krédas. Nous faisons mettre  le  feu aux campements, ce n'est  pas long à brûler, les  cases  sont  faites avec  des nattes..      J'ai eu un spahi blessé à la cuisse par une sagaie et le cheval du Capitaine  Commandant en a reçu une dans la queue. Prises:  4  chameaux,  2 juments sultées, 16  ânes, 130 bêtes à cornes, 600 moutons. Les troupeaux réunis, la colonnese remet en route à 11h du matin. Nous retournons sur Massa.kori.  J'écoppe la corvée de l'arrière-garde;  je ne suis nullement  inquiété maîs la marche est lente;  je dois m'arrêter souvent  pour des boeufs et moutons qui  suivent difficilernent.  Je sème  en route  pas mal de cabris et petits veaux qui ne peuvent plus marcher. Je dévore plutôt que je mange un biscuit pris dons mes bissacs; le soleil est brûlant, j'arrive enfin à Bir Assal, où est  rendu depuis deux heures la tête de la colonne.  Je  prends un peu  de repos et nous dînons d'un  repas froid,  c'est-à-dire traditionnelle boîte de sardines et poulet  froid,
21 Mars. - Nous rentrons à Massakori à 7h 1/2 du matin après une marche de nuit,  nous avons parcouru le même  itinéraire qu'à l'aller, nous avons fait  140km environ dans des circonstances assez pénibles:  manque d'eau, chaleur, privation  de  sommeil.
Le  rapport  du  Capitaine  Commandant  sur l'affaire de BIR DEBEGGHEUR me  signale  en  ces  termes:   "L'Elève Officier FAURE qui, placé en réserve avec son peloton a repoussé avec beaucoup d'à-propos et de vigueur un  retour offensif ds  l'ennemi en lui  infligeant  des pertes sérieuses,  a tué 3 hommes  de sa main".
Cet  échec des Krédas aura au moins pour effet  d'effacer la légende de l'insaisissabilîté de cette tribu.
23 Mars.   - Nous quittons Massakori pour nous rendre  à N'Gouri par le  chemin du puits.   
26 Mars.   - Après 3 jours de marche,  noue arrivons à N'Gouri.  On apprend par le Lieutenant Commandant  ce poste  que 17 campements Krédas sont groupés dans la région d'ANGA,   sous les ordres de leur chef GANASTON,  avec des dissidents Nouarma et  autres. Nous irons sans doute tenter un coup de main chez eux dans quelques jours.
28 Mars. -Rentrée à Madou.  Le  climat est décidément mauvais dans ce poste,  les moustiques ont déjà fait leur apparition et de grosses mouches piquent  les  chevaux;   ceux laissés ici  ont visiblement dépéri.
I1 est question d' établir les 2 pelotons à N'Gouri. C'est heureux car je crois que la saison  des pluies à Madou doit être détestable  et amènerait fatalensnt  des malades parmi  les blancs. Le voisinage des mares est  très malsain.

30 Mars.  - J'ai souffert hier d'une rage de dents, ne voulant pas recommencer les nuits blanches des premiers jours de Mars et le Vétérinaire ne pouvant m'arracher la dent, je me décide  à partir sur Fort Lamy voir le Docteur, Le Capitaine m'y autorise.
1er Avril.  -  Je  suis parti  le  30 au matin emmenant mon  ordonnance  et mon boy;  j'ai  avec moi le Maréchal des logis un  indigène libéré et plusieurs femmes qui  profitent  de mon  départ pour se  rendre à Fort  Lamy.Je me  rends à Fort  Lamy par le  Tchad,   et  suivant un guide  qui m'assure  que  dans 6  jours nous serons  rendus,  mais il y a de l'eau  à traverser.   Je me  décide   tout   de  même  pour  ce  che min-là dont  je dresserai  l'itinéraire   (voir  carte et  tableaux renseignements) .
Ce soir à 5 heures,  je  suis arrivé au village deUNKA où je vais coucher.  J'ai traversé 4 bahrs dont la profondeur variait de  70  cm à 1m, restant  à cheval.  Hommes  et   femmes qui  forment mon convoi   passent  aussi  sur leurs boeufs.
Le  31 Mars,  je couche  à BOLIROUM,  grand village au bord  de l'eau.  J'ai encore traversé aujourd'hui  4 bahrs ayant plus ou moins d'eau. Un d'eux avait environ 1m30 de profondeur.  J'ai  eu mes jambes  complètement  dans l'eau,   j'ai dû  faire décharger mes
bagages, les boeufs ayant l'eau sur le  dos. Mes hommes passent |es bahrs en portant les paquets sur leur tête,   les femmes retirent  leur pagne, le tableau  est  assez réussi !  Plusieurs bahrs atteignent   jusqu'à 100 et  150m de  largeur,   ce   sont  les eaux du
lac Tchad qui, en se retirant laissent des bras d'eau qui entourent ainsi des villages et forment ces îles et archipels qui bornent le Tchad.

1 Avril.  - J'aï"quitté VBoULîROUNE à2h 30  de l' après-midi...Je couche à
DOURDROU où je suis arrivé à 6h 1/2; j'ai  traversé deux autres bras,  en radeau cette fois-ci,  des noirs des villages voisins sont venus me  transborder d'une rive à l'autre sur ce frêle esquif  fait  de quelques fortes branches d'arbres,solidement amarrées et recouvertes d'une forte couche de paille.          
2  Avril.  - Je suis parti  ce matin à 6 heures,  j'ai marché jusqu'à 6h ce
soir après avoir fait la halte repas auprès d'un bahr vers 1Qh 1/2.  Je  campe dans la brousse sous un grand arbre où je  suis fort bien. Maigre dîner,  cela va s'en dire, mais l'habitude est prise. Un bon  café et une pipe m'attardent néanmoins assez  tard dans la soirée sous mon arbre.
3  Avril.  - Je marche peu aujourd'hui;  je m'arrête à 9h 1/2 dans un village important BQUTELFIL,  j'entre aujourd'hui au milieu de population arabe.  Vu sur le parcours de nombreuses traces d'éléphant et des cadavres de  cet animal,  des autruches au village. J'ai eu à régler un sérieux palabre avec de» Arabes du Diagara de la rive allemande du Chari, venus sans autorisation dans notre territoire pour y acheter du mil.  Ces gens-là venus au moment où le collecteur d'impôt  opérait  dans la région,   avaient accaparé tout le mil. Les soldats chargés de prélever l'impôt ne trouvaient rien,  ils sont venus se plaindre à moi.  Le  chef du village interrogé faisait l'ignorant et l'innocent naturellement.  J'ai fait monter à cheval mon Maréchal des Logis indigène, mon ordonnance et quelques soldats du collecteur d* impôt  et les ai envoyés à la recherche des Arabes emportant  le mil.   Ils me  revinrent le soir très tard, ayant arrêté quelques noirs sans trop de difficulté  et m'ont ramené leurs  boeufs, J'ai pris les charges de mil et les sagaies de ces Arabes qui prenaient des airs mourants et les ai congédiés avec leurs boeufs.
J'ai oouché au village, laissant mon ordonnance couché devant la porte de ma case, mon revolver sous mon oreiller et pour cause, l'allure de certaines gens du village me paraissant louche. Rien de nouveau pourtant  ce matin.
4  Avril. - Je suis parti à 6 heures. Non loin de Boutelfil,  j'ai traversé
les campements de SIEREKAL BALBOUT, dont les noirs fabriquent le sel indigène. Pays boisé, chemin en bon état, quelques champs de mil.
Je  couche  ce  soir à TREBO, petit village de vingt  cases.  J'ai du mal ici à trouver un peu de lait de brebis,  les gens sont pauvres et n'ont  pas de  boeufs, ou ils les  cachent.
5  Avril, - De Trébo,  je me rends à KRENEC,  4 villages sur mon chemin,  de
nombreux puits d'eau potable.  Les habitants sont à leur aise et m'apportent du lait et des oeufs. J'arrive à Krénec avec une cinquantaine d'oeufs,  je ne les refuse pas pour la raison suivante:   sur ces 50 oeufe,  je m'estimerai bien heureux si j'en trouve  S de bons pour me  faire une  omelette,                             
Krénec est un village  important.  Mil en quantité, autruches, troupeaux.  J'achète du miel excellent, voilà donc enfin un dessert qui sera pour moi le plat de  résistance. J'en ai 3 bouteilles pleines pour 1 thaler  (3 frs),
- Me voilà enfin à Fort Lamy,  dans la capitale du territoire. Que de  changements dans ce poste depuis mon passage en Août dernier. De jolies cases en briques sont bâties,  2 petits ouvrages de fortifications s'élèvent à droite  et à gauche du poste.
Bref,le village prend une tpurnure qui rassure l'oeil. Je suis arrivé à 4h heures, laissant mon convoi derrière, ayant pris le trop, tant j'avais hâte d'arriver. Quelle joie à la vue du fleuve  ! je le regarde tout au loin aVec des idées de retour dans la tête. Mais ce n'est pas encore pour cette fois-ci, dans 5 ou 6 mois, je pourrai y penser,  
En ma qualité d'élève officier  (quoique depuis six jours,  je dois être officier en France)  je prends mes repas avec le  sergent-major et l'adjudant.  Le  sergent-major MORETTI est un parent à mon ami BOGAVITA chef au 9° hussards, gentil garçon ainsi JACRIPANTI adjudant qui me reçoivent très cordialement.  Je couche chez MORETTÏ.
7 Avril. - Vu ce matin tous les officiers du poste (Infanterie Coloniale. Ils m'ont paru gentils. Le Commandant LARGEAU est absent, en tournée dans le DEBABA.
L'administrateur en  chef M. F0URNEAU est  attendu  de jour en jour.  C'est le premier civil qui va mettre le pied à la colonie. Je me suis rendu chez le Docteur ce matin à 8 heures.  Une demi-heure après je sortais de l'infirmerie,  débarrassé sans souffrance de la dent qui m'avait fait passer de si mauvais jours. Les fêtes de Pâques approchant,  je décide de les passer à Fort Lamy.
.Du 7   Je me distrais bien  ici.  Le matin, après une grasse matinée,
un excellent café au lait, je vais me balader au souk (marché), où grouillent et font un potin infernal noirs et négresses, des  jolis et des horreurs, vêtues de jolies pagnes aux couleurs voyantes ou presque entièrement nues (sauf la ceinture de chasteté suivant leur rang.
13 Avril . Assises sur leur train de derrière, elles restent là des journées entières sous un soleil de plomb , devant 3 ou 4 paniers renfermant du mil, quelqués ingrédients de cuisine, un ou deux vieux poulets cuits depuis plusieurs jours, ou encore des calebasses
de lait aigri, des perles etc.,  etc.,. La vente se fait par échange de denrée avec une autre denrée,  ou au moyen des perles et des thalers pour les achats importants. Car des Hommes sont là aussi qui vendent: moutons, boeufs, chevaux et des étoffes, venant d'Angleterre, que les nègres vendent un prix exorbitant. J'achète deux ou trois pagnes pour ma moitié que je ne paie pas loin de deux thalers chaque.  Je vais causer de la joie à FATME en lui apportant ces étoffes de couleur criarde  (elles  adorent le bleu, le rouge,  jaune,  rose, etc)  et en lui donnant également un petit morceau de minerai  quelconque que je paie un thaler et qui,  écrasé dans une poudre noire avec laquelle dames négresses se maquillent affreusement les yeux et les sourcils. Avec tout cela et quelques colliers de perles au cou et autour de la taille , sur leurs hanches même,  la négresse fait la coquette et ma foi,  il nous arrive bien aussi à nous Européens dont les yeux ne voient plus ici  de jolis- minois Parisiens,  de trouver celles-ci coquettes. "Faute de grive,  on mange du merle"  dit-on.  Pendant mon sejour à Fort Lamy,  j'en ai trouvé une gaillarde, pas mal en formes, ma foi, et que j 'apprivoise pour la remettre toute  dressée au Vétérinaire MAIRE de l 'Escadron,  qui m'a bien recommandé da lui amener une femme?  Celle que j'ai choisie se nomme ZIANABA et doit avoir seize ans.  Pas d'état  civil ni d'acte de naissance ici;  la mère consultée a consenti à l' enlèvement moyennant 5 thalers.  O Afrique  aux moeurs tentantes et faciles ! Je  fais aussi une visite au cimetière dont la terre recouvre déjà une dizaine de Français.  Cette année  sont morts ici un Lieutenant d'Infanterie Coloniale et un Caporal-armurier. Le Commandant LAMY et le Capitaine de COINTET, tués à l'ennemi au combat de Kousseri le 22 Avril 1900 reposent  ici.
Il y a au marché de Fort  Lamy un type de femme fort  curieux qui appartient à la race des Sara; ces femmes Saras portent à la lèvre inférieure une telle incision qu'elles peuvent agrandir démesurément leur lèvre et elles introduisent ainsi entreles 2 moitiés de la lèvre coupée une large plaque ronde d'un  bois léger de la forme d'une assiette et bien plus grande qu'une soucoupe.  C'est un ornement! Cette simili-assiette tient horizontalement dans le sens perpendiculaire  à la bouche. Ajoutez  à cela une  pipe,  un  brûle-gueule  à la  bouche  de  ces femmes et jugez du tableau!... Elles n'ont  de la femme que les indices du sexe.  J'ai oui dire par les noirs que la jeune fille SARA ne peut trouver à se marier si elle ne porte pas l'ornement  qui distingue sa race.
En voyant toutes ces horreurs: femmes du type ci-dessus,  la pipe à la bouche, un négrillon suçant un  sein plissé et tombant, je ne peux que m'écrier:   "Quel tas de  sauvages!        
J'ai pu voir  à Fort Lamy un Lieutenant  allemand M.  NITHMANN, venu de DIKOA, capitaine du Bornou allemand. II a passé ici une demi-journée avec nos officiers. Il portait la tenue blanche et pas de casque,  un  simple  chapeau de feutre à bords peu larges et dont une aile était relevée et maintenue par une  cocarde. Je suis surpris par le port d'une telle coiffure, sous le soleil  tropical.

Le jour de Pâques  s'écoule  à peu près comme les autres Jours.
Nous nous promenons aux villages et améliorons comme il est possible notre menu.  La table  est  bonne  ici,  car le  jardin  donne de nombreux légumes.  En  ont-ils de  la  chance  les Marsouins de pouvOir mànger à peu près toute l'année des choux, des salades, des tomates etc....Quant à nous,'spahis, coureurs de brousse, les légumes remplissent rarement nos assiètes.

13 Avril.  - Je quitte Fort Lamy ce Jour:  lundi de Pâques. Je reprends le même itinéraire de 1'aller. Dans plusieurs villages du Tchad, je reçois des plaintes contre NAÏM et ses soldats [le collecteur d'impôt) qui commettent des exactions dans la région.. Je me rends compte des faits qui ne sont  que  trop vrais:  près du village de INGUER je trouve 17 hommes massacrés par les soldats de NAÏM,  Je fais détacher les hommes et  je fais flanquer une distribution de coups de  "chicotte" aux soldats, (qui n'en sont pas en somme, puisqu'ils sont  au service  de NAÏM, un  nègre  comme eux).  Mais ils sont armés  de  fusils  74  et  de vieux pétoirs,   ce  qui  les grandit considérablement aux yeux des habitants. Malheureusement,  ils profitent de leur forces pour piller et ramasser en impôt le double de ce qu'il faudrait réellement prélever. D'où mécontentement des habitants du Tchad qui m'ont déclaré tout net que  s'ils continuaient,  ils ne pourraient plus vivre  sur le pays et feraient une exode générale vers l'autre rive du Tchad. Devant une telle situation créés par des nègres à notre  service, mais pas ou peu surveillés,  j'ai cru  bon de faire un raport détaillé, que mon  Capitaine a transmis au Commandant  du Cercle.
Je tue plusieurs antilopes, ce qui nous procure de bons morceaux de viande, ainsi  qu'à mes hommes et femmes,  car j'ai derrière moi une vraie smala, anciennes femmes de spahis venant reprendre la vie commune avec leurs époux.. Elles s'attachent à nos talons,   sachant  que quand on est avec un blanc on trouve toujours un peu de mil dans les villages où on passe!  Tout  ce monde-là et moi frarchissons les mêmes bahrs qu'à l'aller;   Je prends parfois de sérieux bains: l'eau a monté, j'en ai jusqu'au ventre à cheval;la tête seule de mon cheval est hors de l'eau.  Les boeufs, débarassés de leurs charges passent en nageant,  il faut les guider de la voix, car ils tournent en ronds  mais n'avancent point; j'en ai un  qui se noie. Les hommes nagent, les femmes passent, allongées sur de grandes perches toujours flottantes faites d'un bois excessivement léger qui ne coule pas. Il suffit de se maintenir sur la perche et de faire  quelques mouvements avec les bras pour avancer.
21 Avril.   J'arrive  enfin à Madou le 21 où je retrouve l'ami CORNUT et
le  trompette SEVAT  qui font filer les convois de mil  sur N'Gouri, notre nouveau poste où est actuellement l'Escadron  (2 pelotons).
Je passe la journée  ici où je retrouve ma "noire moitié".

22 Avril.  - Parti ce matin à 5 heures de Madou,  je  suis arrivé ce soir à Fort Millot   (N'Gouri)  Je retrouve le Capitaine et le Vétérinaire ainsi  que mes camarades provisoirement  installés chez  les Tirailleurs, en attendant  que notre camp soit achevé. Tous ces Jours-ci je suis chargé de l'achèvement des constructions,  je fais finir les écuries  (hangars recouverts de branchages et paille). La première   case  -en  terre  s.v.p.- achevée  c'est moi qui  l'occupe !  Je puis au moins me tenir debout,  droit,   dans  cette  case sans toucher le couvert. Elle est grande et  je fais faire un grand lit,  recouvert d'une grosse épaisseur de paille.  Je ne suis pas mal logé et je  crois que Je  serai à l'abri des tornades à la saison dee pluies.
On reprend le travail: Ecole d'Escadron avec nos 2 pelotons Classes à pied,  etc...
Mai. - CORNUT et SEVAT rentrent  de Madou. Hier est mort un spahi sénégalais de mon peloton, atteint d'une forte dyssenterie.
Nous l'inhumions au cimetière qui touche notre camp êt où reposent déjà le Capitaine MILLOT et le Capitaine BABLON.
CORNUT prend la case voisine de la mienne. Nous sommes d'ailleurs les deux meilleurs amis de la Cité.
Le sergent-major MILLOU qui était à BOL, arrive à N'Gouri, c'est un de mes compatriotes.(vauclusien).

12 Mai  - II nous arrive un  courrier de France ;  j'ai,  tout en gros une lettre et pas de nouvelles de ma famille.
II est question de partir bientôt  contre les Ouled-Slimane, tribu de dissidents,  qui nous était  soumise  l'année dernière et qui vient de faire défection emportant  les 74 que nous leur avions distribués.
24 Mai.  - Mais voilà bien autre chose!  Arrive  aujcurd'hui  un courrier du Commandant des troupes avec l'ordre de noue mettre en route immédiatement  pour le DEBABA, frontière  du Ouadaï.
Qu'allons nous y faire? Nous devons nous joindre à Moïto à 80 tirailleurs du Capitaine  COLONNA.  Serait-ce   sérieux,  enfin! 


25  Mai.  - Nous avons quitté N'Gouri  à l'effectif de  40 spahis,  le Capitaine Commandant,  le Vétérinaire Maire, le  chef,  CORNUT et moi.
26    —  Nous  emportons un mois de vivres Européens  sur les  chameaux.  Par le chemin des puits, nous entrons à Massakori le 27 au soir.
27    -  Nous repartons le 28 à 3h 1/4 du soir,  l'effectif s'est accru du Lieutenant BOISOT de ce poste et  d'une dizaine de tirailleurs. Nous emportons sur nos chameaux plusieurs tonnelets d'eau car de Massakori a N'Gouri, nous avons à parcourir 80 km sans eau.
29 Mai. - Arrivée à N'GOURI à 11 heures du matin après une dure étape et avec un seul arrêt de 2 heures du matin à 5h pour faire un peu de café. L'après-midi du 23 et la matinée du 29 ont  été  chaudes et j'ai eu recours plusieurs fois aux tonnelets d'eau pour emplir mon bidon. Le  terrain'est  en  grande  partie boisée.  Nos chevaux n'ont pas bu depuis 22h aussi il faut les voir se jeter sur l'eau que nos hommes tirent  des puits  à N'Gourra.  L'abreuvoir dure plus d'une heure. Les hommes aussi avalent des calebasses entières d'eau  sans s'arrêter.
A 7h ce soir,les traînards et chameaux fatigués arrivaient encore. Plusieurs boys de spahis manquent à l'appel; ils arrivent peu à peu, mourant de soif,  tombent et  se jettent sur une peau de bouc qu'on est obligé de leur arracher des mains si on ne voulait les voir claquer. Certains ont une figure dont  les yeux sont effrayants,  ils ne peuvent plus prononcer une parole,  on leur jette  de l'eau sur le  corps, les canarades les massent et modérément  on les fait  boire.   Il n'en meurt  point.
30 Mai.  Départ aujourd'hui à 3h 1/2 du soir. Nous campons dans la brousse à 6h 1/2.

31 Mai.  - On a levé le camp à 5 heures ce matin. A 9h, nous arrivions à Moito où,- n effet, le Capitaine COLONNA, l'adjudant SACRIPANTI et le sergent DUFOSSE se trouvaient aveo 80 tirailleurs.
A 3 heures cet après-midi arrive le Lieutenant LEBAS qui commande le peloton détaohé.
Il est fort surpris da voir ce déploiement  de forces et n'a pas l'air d'etre au courant de notre marche au DEBABA?
Je crois savoir que nous allons nous emparer du sultan ACYL, notre allié prétendant au Ouadaï mais qui entretient des relations  secrètes aveo le MADHI, chef des  Senoussistes et  qui  a dit aussi qu'il enlèverait le X° peloton du Lieutenant LESAS.  Toutes choses connues, le Commandant des Troupes a décidé de  s'emparer de ce  jeune Seigheur
1° Juin.  - Nous sommes éveillés cette nuit par des cris venant du village, une patrouille de cinq tirailleurs est envoyée; elle retourne en nous apprenant qu'un lion vient d'enlever un homme qui s'était aventuré hors de  sa case.  Charmant voisinage!
2 Juin.  - Départ à 3h 45'  du matin; La pluie nous mouille pendant quelques instants,  ça ne dure pas, le moment des tornades n'est pas encore venu. Vers 8h 1/2,  au village de GUERGUER, nous voyons apparaître CROTEL,  Maréchal des Logis,   sous les ordres du Lieutenant LEBAS? Nous  sommes heureux de nous  revoir,   car depuis Yao, dont nous sommes partis en Novembre dernier, nous étions séparés. Le terrain est  semé d'arbustes et d'arbres épineux qui gênent la marche.
Arrivés près d'un puits,  nous faisons la halte et nous déjeûnons. CROTEL nous apprend qu'il est convaincu des dires sur ACYL et que les soupçons qui pèsent sur lui sont justifiés.
Plusieurs chefs de village arabe ont prévenu CROTEL des agissements d'ACYL.
Il est  donc décidé que nous irons l'enlever à sea soldats.  
3 Juin.  Nous allons coucher çe  soir à BIR-GOGO. Départ  ce matin à 4h45. CROTEL nous a quittés la veille au soir pour aller prévenir ACYL de l'arrivée du Capitaine et  l'inviter à venir le saluer.  Les puits atteignent de 25 à 40m de profondeur dans la région,  les villages d'aspect pauvre. Nous couchons ce soir à BOGORO,  village arabe,  à côté duquel est le  camp du 1° peloton, CROTEL est rentré.   Il a vu ACYL qui viendra demain matin avec tous ses soldats.  Se doute-t-il que nous allons en faire notre prisonnier?

4 Juin. -  Nous avons passé la nuit aux postes de combat; tous les spahis couchés dehors, les boys à côté des chevaux. Les sous-officiers européens ont pris le quart de 2h.  J'étais de quart de 11h 1/2 à lh l/2; On pouvait en effet craindre une attaque nocturne d'ACYL qui a avec lui environ 300 hommes, cavaliers et fantassins bien armés .Rien de nouveau pourtant. 
Ce matin, à 8h, des bruits discordants de fanfare nous annoncent l'arrivée d'ACYL avec son armée.  Il arrive,  place ses cavaliers en bataille,  ses fantassins à la suite à 100m environ de notre camp et s'avance à cheval,  suivi de quelques hommes et du ohef militaire de sa troupe,  vers le Capitaine.  Après les salamaleks d'usage,  le Capitaine va passer en revue les soldats d'ACYL et ACYL passe  aussi  devant nous.  Les tirailleurs, le fusil  chargé, sont  face à face avec la troupe d'ACYL à 100m de  distance   (placés là tout  exprès)  les 3 pelotons sont en bataille et  40 artilleurs venus de  TCHECKNA avec le  Lieutenant BLARD armés du mousquetons  seulement,  sont dans la cour du camp.
Je suis tout  joyeux à l'idée que  les Ouadaïens, soldats d'ACYL ne vont pas se laisser enlever leur sultan  sans livrer bataille et en ce cas,  je vois la partie belle et une bonne heure à passer II y aura "de la casse" certainement parce que ACYL a de bons fusils et des munitions.                    
Le  Capitaine  emmène ACYL dans une   case  pour palabrer.  ACYL pénètre confiant. A un moment donné,  CROTEL entre, et vivement baillonne ACYL que  l'on entend crier,  mais faiblement.  Des tirailleurs arrivent aussitôt,  baïonnette au canon et gardent  la case. Quelques jeunes nègres porteurs des fusils personnels d'ACYL se trouvaient  à 20m de la case,  mais par terre; un d'eux, un enfant,  entendant crier ACYL se lève et prononçe à haute voix quelques paroles à l'adresse d'ACYL.  Rien ne bouge  de  ce  coté.
Nous ne bougeons pas davantage sauf du coté des Tirailleurs auxquels le Capitaine COLONNA fait prendre la position du tireur;
Serait-ce la bonne exécution de ce mouvement qui aurait collé la frousse aux Ouadaïens? C'est probable.             
Le Capitaine DURAND sort alors de la case et fait appeler le cousin de ACYL, un Basali et le chef militaire BAYOUR. Ces 2 personnages arrivent armés, le Capitaine leur fait dire par le Maréchal des Logis indigène qu'il retient leur sultan ACYL prisonnier pour les raisons que je donne plus haut et qu'il ne leur fera ainsi qu'aux soldats aucun mal. Ces 2 loustics se laissant désarmer, sur leurs ordres, tous les soldats d'ACYL rendent leurs armes.  Stupéfaction !!!                      
Ces salopards de nègres n'ont pas daigné brûler quelques cartouches en l'honneur de leur sultan!  J'étais bien loin de m'attendre  à pareille lâcheté de  leur part.  Le  coup était fait  d'une façon peu chevaleresque il est vrai, mais il fallait agir ainsi pour que ACYL ne nous échappât point.
On ramasse donc tous les fusils et munitions.  II y avait des fusils GRAS, des fusils Anglais à tir rapide et une quantité de cartouches..                                                 
Le  Capitaine  réunit alors  spahis et  tirailleurs et nous nous rendons au camp d'ACYL à 1h 1/2 de marche de BOGORO, appelé RAZALI.
Nous fouillons les cases,  trouvons d'autres fusils cachés sous la paille;  on met  la main sur la correspondance d'ACYL et sur ses chevaux,  chameaux et boeufs.  La cavalerie était en fort mauvais état, sur environ 80 chevaux, nous n'en trouvons que 25 ou 30 pouvant faire quelque  service,  tous les autres sont horriblement maigres et blessés.  Le  camp est  jonché  de  chevaux morts. La smala d'ACYL n'a rien de  brillant  comme  femmes et tout  son monde est dans le dénuement le plus complet. Des hommes, femmes et enfants sont d'une maigreur excessive, vivants d'ailleurs comme ils pouvaient en pillant les villages Arabes. ACYL ne leur assurait pas leur nourriture.
Je vais avec quelques spahis pour rassurer les Arabes des villages voisins qu'un tel déploiement de troupes pourrait effrayer.
Quand je  leur apprends que les "blancs" sont venus prendre ACYL, les Arabes manifestent leur joie et me  disent:   "Les Ouadaïens ne nous prendrons plus notre mil et nos boeufs".    Nous rentrons à Bogoro  laissant la garde de tous les Ouadaïens au chef BAYOUR;  des mesures sont prises pour tous ces gens-là.
Les puits sont à sec ici et le mil manque.  Impossible de vivre tous  réunis  à Bogoro.
Le  Capitaine m'expédie  ce soir même sur HAOUNî avec mon peloton.

5 Juin. -  Je prends  congé du Lieutenant LEBAS et  de mon ami  CORNUT que je
ne reverrai pas de sitôt.  Je pars à 4h 1/2 . J'ai touché 6 chevaux d'ACYL. Celui-ci doit quitter Bogoro demain matin sous la conduite du Lieutenant B0ISOT avec quelques spahis pour se rendre à Port Lamy. On a laissé a ACYL quelques femmes, son cheval et ses boys.   GRANDEUR & DECADENCE !!

7 Juin.  - J'ai été couché le soir du 5 à Bir ABDEMÈ après avoir reçu une tornade violente qui m'a trempé jusqu'aux os. Impossible le soir de me réchauffer et de me sécher. J'ai mangé un morceau de biscuit, dans du café, ne me sentant pas dans mon assiette.
J'ai quitté ce puits le 6 au matin et j'avais le bon accès. J'ai suivi le chemin parcouru à l'aller de Bir Admédé à BIR MAZOUK.
A Bir Guerguer je trouve un de mes brigadiers indigènes et l' alifat  de Moïto  qui m'apprennent que les Ouadaïens d'ACYL étaient non loin de  là, fuyant avec des boeufs vers le BAHR el GHAZAL, chez les Krédas. Je leur donne quelques spahis de renfort avec mon Maréchal des Logis indigène. Je fais halte au pUit et une heure après, ils me ramenèrent une trentaine de boeufs et 2 hommes. Je garde le  troupeau, prends le cheval d'un des hommes que j'envoie à tous les diables et vais coucher à Bir Mazouk.
Le 7, j'ai quitté ce puits â 5h30.  Je suis de plus en plus affaibli et la longue étape d'aujourd'hui m'a mis sur le flanc.
Je ne suis arrivé à HAOUNI qu'à 6h du soir. C'est là que je dois passer quelques jours pour vivre avec mon peloton,  faire construire un camp et  donner la chasse aux Krédas  dissidents  qui fréquentent cette région.  Je bois du lait ce soir, mon boy m'a fait du  thé  et je me  couche après avoir palabré avec le chef du village  pour  les  ordres  du lendemain.
8 Juin.  - J'ai  fait  commencer lee  cases aujourd'hui,  des noirs du village y travaillent;   je me  traîne  péniblement toute la journée pour tracer le dispositif du camp. J'ai envoyé une première patrouille de 3 spahis avec quelques cavaliers du sultan BOULALA , pour chasser les Krédas. Elle rentre le  soir, elle n'a rien vu.
9 Juin.  - Je ne vais pas mieux depuis mon arrivée  dans ce  poste : j'ai la fièvre et la diarrhée; mon  thé est épuisé, je bois du lait et mange avec peine un oeuf. J'ai pris une sale tête ces jours-ci car mes  spahis viennent  me voir en me disant: "Toi, y a malade beaucoup".
10 Juin. - La patrouille  du  9  et 10 a pris 2 ou  3 boeufs chargés de mil
que conduisaient des Krédas qui se sont enfuis en les voyant.
11 Juin. - Le 11, le  camp est achevé,  soit 26 cases,  de quoi loger un peloton.  J'ai eu du mal à faire rentrer un peu de mil de l'impôt en retard, ne pouvant me déplacer moi-même, vu mon état.Les chefs des villages voisins n'écoutent pas mes spahis. J'ai reçu tantôt par un Arabe monté à chameau un courrier du Capitaine Commandant me prescrivant de rejoindre la colonne à N'Goura le 13 au matin.
Je préviens mes spahis que nous partirons demain.  Ce n'était vraiment pas la peine de m'envoyer ici pour trois jours. Je fais marquer les 25 boeufs que j'avais et je les laisse en consigne au sultan de Haouni qui les remettra au Lieutenant LEBAS.
12  Juin.  - Je suis parti ce matin et je couche ce soir à ABOUKOOKIL, vil-
lage au pied de rochers. Je suis toujours dans le même état.  Il tombe de l'eau dans la soirée et dans la nuit ce qui m'oblige à coucher dans une case où j'étouffe.
13  Juin.   - Arrivée  à N'GOURRA à 9h du matin.   Je  retrouve  les  spahis et
tirailleurs et rends compte de ma mission au Capitaine.  Le Vétérinaire me donne une  potion fortifiante,  tous ici me trouvent une  sale tête. Je n'ai plus un liard de force et je me décide à faire l'étape à chameau,  de préférence à cheval.
Nous avons quitté N'Gourra à 3h ce soir.  J'ai lâché mon peloton et  j'ai marché avec le  convoi.  Le balancement d'avant  en arrière de mon~chameau m'a fatigué quelque peu,  mais je  suis plus commodément assis sur le dos du chameau avec mes couvertures que si j'étais à cheval.  Il a fait excessivement chaud et je n'ai toujours que mon bidon d'eau pour calmer ma  soif ardente.  Que faire? Je ne puis pourtant pas rester ici, loin de tout poste, dans un village nègre;  je n'ai qu'à suivre et  supporter le mal jusqu'à notre rentrée à MassaKori.
14 Juin.  - Npus sommes arrivés à AMBAKAT,..à 35km Nord de_N'Gourra,après avoir passé la nuit dans la  brousse,  à 9h ce matin. Le vétérinaire MAIRE me donne l'hospalité sous  sa tente:  je tiens à peine debout et ne puis rien manger, Pas de médicaments pouvant me retaper,  ou plutôt  il reste trop peu do cette potion vivifiante que j'ai prise a N'Gourra,hier, pour m'en administrer une seconde  (cela au dire du Vétérinaire qui l'a jugé ainsi !! Enfin, patience! J'ai dormi une grande partie de la journée.

Ce soir à 8h, le Capitaine et 20 spahis rentrent au bivouac, il était allé reconnaître SAYAL à une vingtaine de kilomètres de point donné comme refuge des Krédas; mais il n'y a plus personne.
Le Capitaine COLQNNA de LECA qui  l'accompagnait a tiré sur un éléphant à SAYAL,  il y en a beaucoup ainsi que des rhinocéros dans cette région.
15  Juin.   - Le  15,  nous  sommes à BTR DEBEGHEUR.  J'ai fait l'étape sur un chameau. Mon état reste le même. Plus un peu de thé pour colorer l'eau sale que donne le puits. Nous sommes à 22k Ouest de AMBAHAT. C'est ici que le 20 Mars dernier, nous avons battu les Krédas, nous retrouvons les traces de leur campement. Ils n'y sont plus revenus. Le pays est désert.
16  Juin.  - Bivouac à BIR AHMED à 30km.  Je  suis également  passé par là en
rentrant de DEBEGHEUR en Mars dernier. Le puits est infect ; il faut plusieurs heures de travail pour en tirer une eau boueuse; nos chevaux ne peuvent pas même être abreuvés. Je n'ai pas de fièvre aujourd'hui et fort heureusement je ne suis pas dévoré par la soif. Mais je suis flappi. J'ai hâte de rentrer à Massakori pour me reposer et boire du lait.

17 Juin. - Enfin me voilà à MASSAKORI, poste occupé par un lieutenant et un sergent et où j'ai trouvé un bon gîte, de l'eau claire et de la boisson pour un malade tel que moi. Je suis arrivé vers 11h, marchant toujours au oonvoi avec mon chameau, étape de 34km.
Toujours, et toujours au pas ! Oh que ces étapes paraissent longues, sous un soleil brûlant dès 7 heures du matin et dans des terrains aussi déserts ! La reconnaissance vers Sayal a permis de constater que l'accès de  cette région est facile, par 3 directions différentes: par MassaKori,  par N'Goura et par Aouni,
Aujourd'hui est partie la 2° Compagnie du Capitaine de LECA pour Fort Lamy, c'est la dislocation .
18 Juin. - Séjour à Massakori. Je vais un peu mieux, quoique sans forces. Encore 3 étapes,  3 jours de route et je vais rejoindre mes pénates à N'Gouri.                                              
21 Juin. - Nous sommes rentrés à FORT-MILLOT ce matin à 9 heures en passant par les puits POUPARD, AVON et GRAND-BESSÈ. Les récentes pluies avaient produit des éboulements de terre dans les puits et l'eau était boueuse, .Nous avons dû faire curer les puits pour avoir de l'eau à peu près claire.
Je pense que je vais pouvoir me reposer ici et reprendre mes forces épuisées par cette dure colonne et par la fièvre qui m'a miné pendant une dizaine de Jours. 
JUILLET.  - Voilà une semaine que nous sommes rentrés. Le repos, le lait et la nourriture mieux assurée ont eu raison de ma faiblesse. Je vais de mieux en mieux et je mange maintenant, mais je n'ai pas encore pu refumer une cigarette ou une pipe.  Je suis très
amaigri, mais j'espère néammoins pouvoir repartir dans la brousse: le Commandant des troupes a écrit au Capitaine Commandant de tenter le "coup de main" projeté contre les Ouled Sliman dissidents,  quand il jugera que ses chevaux sont  en état de remarcher .


1er Juillet.  - Je passe de bonnes nuits malgré les hurlements des fauves dans les oasis; Hyènes et panthères font de concert avec les chiens du village, un vacarme infernal.Aussi les corps des chameaux et des boeufs crevés que l'on dépose dans la brousse ne restent pas deux jours sans qu'il soit possible d'en retrouver les traces.
|4 Juillet.  - Ce n'est plusà N'Gouri que je rédige mon journal ce soir, miais à la belle étoile, au bivouac de DIARA. C'est dire que je suis encore en route. Nous avons en effet de nouveau quitté N'Gouri pour nous diriger sur KOUAL où se  trouvent. paraît-il, les Ouled-Sliman. La colonne, composée du Capitaine Commandant, du Vétérinaire, de 2 sous-officiers  (PLOUCHART et moi) et 35 spahis, 25 tirailleurs et une quantité de chameaux emportant dix Jours de vivres, a quitté Fort Millot ce matin. Le 7,  se concentrera avec nous,  le peloton de spahis d'Alali et 25 tirailleurs méharistes du même poste.
5 Juillet.  - Nous avons marché aujourd'hui de DIARA sur KAO:  6 heures de marche,  itinéraire  préférable à celui de BENI-BASSA, village et eau. Passé à KONACRI, petit village qui domine une superbe vallée ou grand ouadi, d'herbe verte et abondante, aux puits nombreux, avec grands arbres et culture de blé. Vu les premiers palmiers dans cet ouadi.
A Mao,  dans l'oasis,  les palmiers sont magnifiques et chargés de dattes; le chef de Mao  (Mala) nous apporte une provision de dattes succulentes, elles constituent le plat de résistance de notre popote (PLOUCHART et moi) le Capitaine et le Vétérinaire, font popote ensemble.                                              

Juillet.  - Nous sommes à TERIFET - 2 groupes de villages importants oasis au pied du plateau: dattiers, puits d'eau potable. Nous repartirons au coucher du soleil. En hâte, nous avalons une cuisse de poulet à 4h 1/2 du soir, avec du biscuit et une quantité de dattes et nous buvons un bon café;
Nous campons près d'un puits  à 3h 1/2 de marche de Térifet.
7 Juillet. Nous avons quitté ce bivouac au point du jour, et sommes à FARARA. à 3h de marche. Nous n'y trouvons pas le détachement de Alali? Un cavalier auxiliaire vient prévenir le Capitaine que les Lieutenants BOURET et POUPARD sont  à quelques kilomètres de là
dans une oasis.  Le Capitaine et le vétérinaire partent à cheval et me laissent avec PLOUCHARD et les deux pelotons, en me prescrivant d'attendre les ordres pour rallier l'oasis. Nous abreuvons  les chevaux et  déjeunons  ici avec l'ami PLOUCHART.  Je  reçois vers une heure un mot du Capitaine me disant qu'il déjeune dans l'oasis,  de ne pas bouger,  que vers 5h il rentrerait avec toute la colonne. Entre temps,  arrive le Lieutenant BOURET du 4° peloton,  il cherchait le Capitaine.  Je le mets au courant et  il repart.
A 5h,  la colonne rentre:  spahis,  tirailleurs, méharistes,  cavaliers indigènes, tout est  là, nous allons partir au  coucher du soleil. Aussi, en hâte,  PLOUGHART et moi, nous avons avalé un morceau de quelque viande froide et du café.
8 Juillet.  - Départ de Farara,le 7 à 6h 20 du soir.Halte après 8h de marche de nuit auprès de deux puits bouchés. Je suis las. Les nègres ont travaillé aux puits pendant plusieurs heures, mais il n'y a pas eu moyen d'avoir de l'eau.  Impossible de rester là.A Ih 15 en pleine chaleur, nous avons quitté ce poste et nous sommes arrivés à lh de marche environ à trouver deux autres puits avec eau abondante et potable.   Il va sans dire que nous nous sommes arrêtés là. Nous dînons encore à 4h 1/2, le départ du bivouac est pour ce soir 6 heures. Encore une nuit, en route, ce n'est pasfini, je crois. Nous dormons à peine quelques heures dans la journée, sous des arbres, quand il y en a, mais le soleil est trop fort. La nuit, une heure ou deux d'arrêt,  la bride au bras, je m'allonge sur le sable  et je dors.Nos spahis n'ont pas plutôt entendu le sifflet du Capitaine qui ordonne  l'arrêt,  qu'ils ont mis pied à terre ou plutôt fesses à terre et roupillent.
9 Juillet. - Cette nuit, nous avons tout de même bivouaqué après 5h de marche. Nous sommes repartis ce matin à 5 heures; halte  à 12h 1/2 à une mare.  L'eau est  assez bonne. Dans l'après-midi, les cavaliers de MALA, chef des auxiliaires, s'emparent d'un troupeau de boeufs gardé par quelques Krédas. Des campements sont à proximité.  Tiendrons-nous les Ouled Sliman ? C'est  contre eux que nous marchons et non contre  les Krédas.
10 Juillet. - Départ de la mare ce matin à 9 heures. A 5h de marche, vu campements Krédas ou Fitzanes (dissidents) mais évacués. Ils ont été prévenus par ceux qui gardaient les boeufs pris la veille par Mala. Nous déjeunons auprès d'une mare.
ll Juillet.  -Départ de la mare le 10 à 5h 1/2 du soir. 4 heures de marche, arrêt dans la brousse à 9 heures 1/2. En route dès 2 heure du matin, halte une heure après, et arrêt de nouveau sans desseller pendant trois heures.  J'en ai profité pour dormir par terre .
En attendant que les cavaliers indigènes, qui nous éclairent, pendant la marche apportent des renseignements, nous marchons dans la zone occupée par les dissidents. A 6h du matin, nous sommes repartis. Le 4° Peloton et le  goum tiraient des coups de fusil sur notre gauche. La colonne prend le trot,nous étions tout près des puits de Koal. Nous arrivâmes à ces puits a 7 heures1/2  mais nous n'y trouvâmes personne que des traces de passage de chameaux que l'on avait fait boire récemment .Le 4° Peloton, les cavaliers indigènes rentrèrent dans la matinée,  tous ramenaient quantité de boeufs et moutons, quelques chameaux et ânes; C'est tout  ce qu'on avait pu enlever à quelques nègres captifs qui en avaient la garde et qui n'avaient pas eu  le  temps de fuir.  Ce soir, il y a bien près de  500 bêtes à cornes et 600 moutons réunis dans l'immense cuvette qui contient  7 grands puits entourés de larges abreuvoirs.  La plupart de  ces bêtes sont du chef ALIAGARI, un dissident  qui fuyait au Bahr-el-Ghazal.  Quand aux Ouled Sliman  cherchés,  nous n'en avons pas vu un  seul.   Ils ont fui,la colonne ayant été éventée et ils ont deux jours d'avance sur nous.   Impossible de  poursuivre.  Nous n'avons plus de vivre. Nos chevaux sont éreintés et aucun guide ne connaît de chemin ni de point d'eau au delà de  Koual.
12 Juillet.  - Nous quitterons les puits ce soir vers 7 heures. Départ 7h du soir. Route pénible  sans lune.  Je marche à l'avant-garde, immédiatement derrière le guide. Les troupeaux sont  conduits par les cavaliers Indigènes, tout le monde gueule,  gens et bêtes; parfois les boeufs viennent au galop se jeter dans mon peloton d'où frousse des chevaux qui fichent le  camp réveillant ainsi leurs cavaliers  sûrement  endormis.  Je  crie  comme  les autres (on n'entend que des cris de nègres, des bêlements de  cabris) c'est assourdissant,   je voudrais bien que  les cavaliers du'gou ne me flanquent pas leurs boeufs dans leurs jambes;  on me fait dire que je vais trop vite,  on n'y voit rien du tout,  la queue de la colonne  s'égare  et naturellement,  le brigadier indigène qui est à l'arrière-garde avec quelques spahis croit toujours voir l'ennemi  alors que ce ne sont que des retardataires , qui cherchent la colonne. Je crois même que j'entends des coups de fusil. Quel chahut grand Dieu ! 2 tirailleurs ont été mordus par des serpents blancs, (très venimeux) pendant la mar
che ; on s'arrête; le Vétérinaire a cautérisé et fait des injections:moi,je ne vois tcujours rien, j'apprends tout celà par mes spahis qui font la navette de la tête  à la queue.
Nous nous sommes enfin arrêtés à 3 heures du matin dans la brousse. On a attaché les ohevaux et je n'ai pas été long à dormir sur la terre sans m'inquiéter des serpents blancs. PLOU    CHARD est venu près de moi et fait de même, la tête sur son étui-revolver. Nous nous sommes réveillés au lever du soleil et le  sifflet  du Capitaine  lançait  son  cri aussitôt.
13 Juillet.  - A  5h 40 nous fichions le camp pour nous arrêter au premier              puits,  fort heureusement trouvé à une heure de marche, BÏR REDIB.
C'est là que nous passons la journée du 12. En  somme, l'affaire n'a pas eu de succès, mais nous a valu d'énormes fatigues.
Les campements des Ouled Sliman étaient bien à 10 km Est  de  Koual mais, comme toujours avec ces sales nègres, on les a prévenus à temps. De plus, la pusillanimité de nos guides qui nous ont fait perdre deux jours en détours inutiles au Sud et à l'Est,  sont une         des causes qui nous ont fait manquer l'affaire. Il faudra y revenir!                                                                           
A 5h45 soir, le 12, départ de BIR REDIBÈ, 4 heures de marche.
A I0h 1/2 du soir, nous nous trouvions à 1 heure des puits de HADDAA  (2 puits,eau potable). Nous campons et nous ne partirons que  ce soir 13 vers 5 heures.

14 Juillet.  - C'est bien aujourd'hui la Fête Nationale ! En France, je l'espère, on ne l'a pas oubliée,mais ici, dans la brousse, avec une retraite aux flambeaux dans le genre de celle de hier soir (départ à 5h 1/2, 7 h de marche, halte à  5 heures du matin) lune avec un tel programme, dis-je, nous n'avions guère les idées à ces belles soirées de France du 13 Juillet. Le sommeil me faisait oublier ces lointains bruits de fête.
Au départ de HADDARA, vu le  campement d'ÀBOU-AGUILA;le chef Snoussiste  tué à Alali ,au combat  du  4 Xbre; ce  camp est un immense carré entouré d'un fossé et protégé par une zeriba. Un détail qui mérite d'être conté: un incident survenu entre le Capitaine et moi. A une ou deux heures du matin, après une longue marche de nuit, nous nous arrêtons dans la brousse. Ereintés, nous l'étions tous, privés depuis plusieurs jours de sommeil ! Dans cet état en pleine nuit et un  14 Juillet (car nous ne  passions  pas ici la revue, le  Capitaine eut la malencontreuse idée de m'interpeller assez rudement pour faire aligner mon peloton. Je fus stupéfait de cette observation traduite par des mots très durs,  faite  à pareille heure , dans un pareil moment et  dans  les conditions  ci-dessus. Pire que cela, le  Capitaine commande "A cheval" pour mon peloton dont les ho mmes dormaient debout, se   souciant  peu de  l'alignement  et moi  de même, je l'avoue- Je  répète, toujours ahuri, le  coammandement "A cheval". Le  dialogue suivant s'engage entre  mon Capitaine et moi: "Mettez-vous en guide, je commanderâi votre peloton puisque vous n'en êtes pas capable. A  ces mots, je  devins très colère et répondit: "En tous les cas, mon Capitaine, je n'ai pas attendu  de  venir à l'Escadron  pour apprendre  à commander un peloton. Mes  paroles eurent le don de l'exasperer.  Il m'ordonna de me taire. J'obéis.  Il commanda alors  "Alignement". Ce commandement eut autant d'effet sur mon peloton   qu'une  balle  tombant dans l'eau. Personne ne bougea de sa place, je ne fis pas remuer non plus un poil de mon cheval. Je ne vis pas davantage, chez les chevaux des spahis ou plutôt je n'entendis rien bouger, car je voyais à peine le Capitaine à quelques pas devant le peloton à pied, tant il faisait un pâle claïr de lune; Il fut satisfait, car il ccmmanda  "Pied à terre"et s'en alla en me disant "Placez votre peloton". Je commandai  "En avant" et à quelques mètres de là "Peloton 1/2 tour à gauche" de façon à venir placer ma droite près du dernier cheval du 4° peloton et former ainsi deux faces perpendiculaires l'une à l'autre.
Je ne fus ni mieux ni plus mal aligné que  précédemment, mais je m'en moquais:  la chose était inutile !  "Pied à terre', attacher les chevaux et dormir fut la préoccupation de  tous.
Eh bien, je la trouvais mauvaise. Cet incident me fit de la peine, j'y pensais toujours et ne pus m'endormir, c'est ainsi que ma pensée alla vers la mère Patrie cette nuit-là où tout était en fête  là-bas. Je  dois dire  que  mon Capitaine Commandant M. DURAND  est  un névrosé,un Monsieur absolu,  très surexcitable , et que sans nul doute,  c'était la grande fatigue que nous avions supportée, qui lui avait mis les  nerfs dans un tel état,   le poussant ainsi sur mon  dos sans motif.  C'est moi qui trinque, mais je n'oublierai pas cela.
Nous sommes repartis ce matin à 6h l/2. A 7h nous trouvons 3 puits à fort débit d'eau.
Nous marchons ensuite  sur TIN.
 - Arrivée à Alali; nous retrouvons ici "nos amis PELISSON et GUILLEMIN et deux sergents. Le poste a changé d'aspect, il me paraît mieux situé mais pas trop grand pour l'effectif de 100
hommes qui y sont logés, De solides cases en brique avec murs épais à créneaux pour tirer 1' assaillant ont été faites pour chaque Européen. Un tirailleur est en observation toute la journée sur un "mirador" d'où la vue s'étend excessivement loin à l'horizon !

17 Juillet. - Il y a toujours ici de bons légumes et j'y fais bonne chère pendant 2 jours. Nos amis "les Marsouins" nous reçoivent avec la même cordialité qu'en février dernier. Nous quittons Alali demain matin.


21 Juillet. - Arrivée à N'Gouri  par Mao et Dra;  j'ai fait à Mao une provision de dattes, car les oasis de N'Gouri n'en ont pas. Ma femme, la jeune "Fatmée" s'est chargée de m' en chiper une quantité. Elle les aime autant que moi. Je l'ai trouvée bien fatiguée; elle me raconte qu'elle a été bien malade.
Mais quelqu'un auquel je m'intéresse  davantage, mon cher CORNUT, a été aussi bien malade .  Je le retrouve encore  très fatigué et sa maigreur, son teint, tout chez  lui me cause  quelques inquiétudes.   II ne mange rien et peut à peine se porter. Avec cela que le moral chez lui n'est pas très sûr, l'ennui le gagne, mais je vais l'entreprendre dès aujourd'hui et  tâcher de retaper ce bon vieux FRED. Il est content de mon arrivée, ma présence, me dit-il, lui fera beaucoup de bien. Resté ici  avec le trompette 'et le sellier en pauvre Compagnie, il avait peu de distraction et pensait trop à la France, à la maman...           
Fièvre, vomissements, diarrhées, il a toute la série ce pauvre Fred. Le Capitaine et le Vétérinaire ont écrit au docteur ALAIN à Fort Lamy pour le  prier de venir visiter CORNUT;  dans une quinzaine de jours, il peut être ici . (Situation pleine d'espoir si l'on était dangereusement malade; médecin à 15 jours de là); Que de fonctionnaires civils inutiles à la colonie depuis Librevllle jusqu'à Fort Archambault . Combien 2 médecins de plus seraient indispensables!  II y a dans l'immense territoire du Congo français et du Chari et du Tchad, au grand maximum 3 medecins: 1 à Brazzaville,  1 àGribingi, (docteur d'une maison scientifique et non pour la colonie) et 1 à Fort Lamy. Entre ces 3 points qui sont respectivement séparés l'un de l'autre de 50 à 40 jours de marche,  se trouvent de nombreux postes où sont des Européens,  qui ne voient jamais un docteur pendant leurs 2 ans de séjour, mais, en revanche, on voit partout des Messieurs bien payés, que l' on nomme   "Commis aux Affaires indigènes", gratte-papiers qui ont peu de ohoses à faire.
18 Juillet.- J'ai tout de même, sans y penser, pris 28 ans cette semaine ci, aujourd'hui 27 Juillet, Est-ce Dieu possible ! Voilà que je frise la trentaine !
29 Juillet.  -  Le  Lieutenant  GUEX et  le  sergent DUPUIS quittent le poste aujourd'hui,  leur temps de  séjour est  expiré; ces 2 heureux rentrent en France, c'est-à-dire  y arriveront dans 4 ou 5 mois. Adieu et bon voyage, leur avons-nous dit  ce matin.
Un Lieutenant de Marsouins,  M.  BUREAU est  arrivé cette semaine pour remplacer M. GUEX.
3l Juillet.  - Et le mois est fini!  FRED, lui va légèrement mieux,  et nous comptons 15 mois depuis le départ de France. Nous sommes des anciens à la colonie. Au poste, après le fourrier LUDIER des marsouins, c'est nous deux qui seront rapatriés les  premièrs, si nos remplaçants arrivent. Je le souhaite, pour eux et pour nous.