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Voici la suite une fois arrivé à destination

- Un mois  s'est  passé depuis mon arrivée  à Yao,   Je  ne me  suis pas trop ennuyé pendant  ce  premier mois  ayant eu  assez d'occupations pour prendre en mains mon nouveau  service,  connaître  les spahis et les chevaux de mon peloton,  faire  quelques promenades à cheval avec notre Capitaine et pour reconnaître  les environs du camp,  en un mot, m'orienter dans ce nouveau bled.
C'est en  effet,  un sale bled que  celui  où je  suis tombé.
Yao est situé entre le  13°  de longitude  ouest   et  le 15°  latitude nord;  au Nord-Est  des lagunes du Fitri,   le  village  "Yaoua"  est tout à fait misérable;  les noirs n'y vendent  rien,  n'y fabriquent rien,  ne  cultivent  que  le mil.  Le   camp  de   l'Escadron est à 400 mètres du village,  dans une  enceinte  entourée d'un fossé profond de 1m20, large de un mètre  et  creusé  sur un  carré  de  200m de  côté.  Nos cases  sont alignées  sur deux rangées,  le long des faces du  camp, ,faites  de  paille,   elles  servent,  les unes  pour  les  chevaux,   les autres pour les spahis,leurs femmes et leurs enfants.
A l'entrée principale du camp est le corps de garde; en avant, la case en terre du Capitaine et à droite, à gauche et en arrière sont les cases des blancs faites de terre pétrie et recouvertes de paille. Le sol de ma case, c'est le sable, aussi je ne l'habite pas seul; à terre loge une foule de petits insectes et sur la toiture en  paille,  se baladent  des lézards  et des rats  qui la nuit se mettent en mouvement.  J'ai aussi comme compagne,  que je respecte, une hirondelle qui a bâti son nid sur une traverse de la toiture et je vois entrer souvent le père et la mère qui peuplent le nid;  ça me fait plaisir.  Aucune porte ni fenêtre ne  sort closes aussi les volatiles entrent et  sortent comme chez eux, Mon lit est fait de branches d'arbres juxtaposées les unes à côté  des autres et élevées du sol par 4 piquets en carré, pour éviter de coucher par terre; je mets là-dessus une natte, mon couvre pieds et une seconde couverture; j'ai fabriqué un oreiller et je fais encore, couché de la sorte de bonnes siestes et de bonnes nuits.  Les draps  sont absolument  inconnus,  les marchands de .... manquent encore au Tchad.  Chose indispensable:  mon lit est entouré d'une moustiquaire, bien fermée quand vient le soir,  et je dors ainsi dans cette cage entourée d'étoffe à l'abri des moustiques.  Ces sales bêtes-là nous ennuient, nous persécutent plutôt du matin au soir; il paraît que c'est ainsi à Yao toute l'année !! Où la situation est  intolérable, c'est au repas du soir:  il faut se dépêcher de manger, tant on est piqué tout en tenant' d'une main un éventail  (fait avec les plumes des grands oiseaux du pays pour éloigner les moustiques.  Ils sont tellement nombreux qu'ils nous obligent à aller nous coucher plus tôt qu'on ne le voudrait,  car le  soir,  avec  la  lune  (l'éclairage  lampe n'est pas usitée) on resterait volontiers dehors tant on étouffe dans nos cases et  dans la mousticaire.
La chaleur est atroce à Yao, aussi n'engraisse-t-on pas car on est toujours en nage . Pour mon compte, je  sue çomme un phoque. Le mois d'Octobre  termine  l'hivernage c'est-à-dire  la saison des pluies mais à Yao,  cette  saison,  il n'a presque  pas plu, le  temps est  orageux et il ne pleut pas d'où température lourde  qui  rend malade. J'ai eu  ce mois-ci 3 fois la fièvre  légèrement; on  la combat avec de  la quinine;   tous  les deux jours, on  s'en fourre   50c dans le  coffre.   C'est  d'ailleurs le seul médicament avec la teinture d'iode dont le  poste  dispose,   Pourquoi? Il est fort heureux q,us l'on ne  soit pas  dangereusement malade car le docteur est  à Fort Lamy, à 13 journées de marche de Yao. C'est  le trommpette blanc qui joue  ici le rôle de  "toubib";   il passe la vîsite aux noirs et les badigeonne  toujours à la teinture  d'iode   pour n'importe  quelle maladie; ïl n'y a que  la foi qui sauve...  mais  comment ferait-il autrement  puisqu'on laisse  le poste  sans médicaments, et  ce  qui  pis est...  sans vivres. Nos  rations finissaient  le  27 septembre ;   nous  sommes actuellemet  à Tao  4 Européens,   et  le  poste  de  Fort Lamy nous a envoyé le  28  septembre  24 bouteilles de vin, 4 tonnelets de  farine et barka;  nous n'avons rien d'autre à nous mettre sous la dent. Nous n'avons donc actuellement ni  sel,  ni huile ,  ni vinaigre   (de  ces deux liquides on  s'en  passe   car nous n'avons jamais une   salade  à manger,   aucun légume ne pousse à Yao et le village n'a rien) ni  poivre, ni  viande, ni  conserve, ni sucre,  ni café  (chose essentielle à la colonie) ni graisse, et enfin ni notre thon et sardines qui oonstituent la ration.                                                                                   
Et cela, pourquoi? Parce que les moyens de  transport manquent à Fort  Lamy, les boeufs porteurs et les  chameaux font  défaut; croyez vous qu'on réquisitionnerait des noirs pour le  portage ? mais non, il ne  faut  pas déranger ces fainéants-là,  tant pis si les blancs de Yao crèvent de  faim.  Notre menu se  compose de mouton matin  et soir,   c'est  toujours le  sale bouc qui nous est servi à table. Nous manquons tous d'appétit; la vue traditionnelle de: côtelettes de mouton, rognons de mouton,gigot de mouton nous enlève l'envie de manger. Par contre, si le pays n'avait pas de mouton,  nous n 'aurions rien à manger. Nous gardons avec un soin jaloux quelques vaches qui nous donnent du lait, c'est  le  breuvage  qui me nourrit  d'ailleurs, car j'aime beaucoup le lait.  Une vache donne au grand maximum de 2 à 4 litres de lait par jour. J'espère  que,  par la suite,  nos vivres nous parviendront  plus régulièrement.
Voilà les avantages d'être  dans les  "postes  les plus avancés"
Yao à l'est (l'escadron de spahis par  conséquent)  est avec les troupes du Kanem (Bir Alali) au Nord le  point  le plus éloigné qui soit occupé militairement  dans nos  possessions du Centre Africain.
De  plus, la région du Fitri ne fournit même  pas de  quoi nourrir hommes  et  chevaux, et  que  faut-il pour  cela? du mil?  Il y en a si  peu qu'il faut  compter sur des razzias que font les spahis avec le  concours de quelques chefs soumis, mais les ressources sont si aléatoires que depuis plusieurs mois,les spahis seuls touchent du mil; il est  impossible d'en  donner aux chevaux qui ne mangent  que de l'herbe ...La mil constitue pourtant leur principale nourriture, comme l'avoine en France.
Bref, tout le monde, hommes et chevaux, vit ici au  jour le  jour, nous ne  possédons aucune  réserve.  Les  spahis touchent comme nous du mouton et font avec cette viande et le mil ou à défaut,  avec la fleur de foin (ce sont de petites graines que les femmes ramassent dans la brousse en secouant un  espèce de foin sauvage ...Ces graines donnent une farine à peu près semblable à la semoule mais pas nourrissante)  la Cida, genre de couscous.

Autre grande lacune à la  colonie, les fonds manquent, le budget  local n'a rien ou presque rien et du reste, que gagne t-il dans un  pays aussi pauvre où il n'y a ni  commerce ni  industrie, ni production d'aucune sorte.  Il faut donc  des secours de la métropole; la monnaie  courante est  ici le  Thaler de Marie Thérèse, qui vaut 3 frs 10  et  j'ai  ouï dire que le  Commandant des  troupes a trouvé en caisse  à Fort Lamy la somme de 140 thalers !!! pour toute fortune, légués par le Colonnel Destenave à la fin de sa mission. CORNUT et moi, nous n'avons pas  touché un sou à notre arrivée et il est dû actuellement à nos spahis six mois de soldes ! Triste situation qui pourrait amener de la part de nos  troupes indigènes de graves  incidents.  Le noir,  soit : Sénégalais,Arabes, et Bandas, éléments qui constituent notre Escadron (ces 2 derniers, anciens guerriers des chefs tels que RABAH, FAD-EL-AllAH que nous avons tués) sont braves  et   se  battent  admirablement,  mais  il faut avec eux tenir et  payer ce  que  l'on promet .
 Il est regrettable aussi de  constater la tenue  en haillons de nos soldats, moins encore  de nos  spahis que des tirailleurs, dans tous les  postes  de  la Colonie.
L'Escadron possède  encore des moyens d'existence , puisés lorsqu'il opérait  il y a quelques mois, contre  les fameux chefs RABAH et autres, dans le Bornou.  De  ces différents combats: KRECH-KRECH,  DIKOA,  KOUSSOURI,  GOUDIBA, qui  furent des victoires, on en  rapporta:  vivres,  effets, munitions,  thalers en quantité assez considérable, surtout à DIKOA. Mais il a fallu quitter cette région peuplée et assez riche que nous avions conquise et pacifiée déjà avant l'arrivée de l'anglais et de l'allemand.  Le BORNOU  est à eux, de par les traités de 1898, mais ils n'y sont venus qu'en 1902, pour nous prier d'évacuer. C'est bien là ce qu'on appelle "avoir travaillé pour le roi de Prusse ..."  Naturellement, 'il y a dans l'Afrique Centrale une région bonne et productive, qui après un FACHODA, ne nous échouait même  pas en compensation !.. L'arrivée tardive des Allemands et des anglais au Bornou a pour le moins permis à nos troupes de vivre assez largement en 1900 et 1901 et à notre Escadron de  se remonter 3 fois en chevaux à peu de frais. Mais en 1902 et par la suite, c'est autre chose, où prendrons-nous des chevaux?  le Bormou  seul en possède, notre  territoire n'en a pas ou bien  peu.
Nous occupons au Chari, le BAGUIRMI, sur la droite du Chari, région plane sous l'autorité nominale du sultan GAOURAN, lequel est un peu trop en faveur auprès de l'Administration française et qui se paie notre tête; Il ne fournit même pas de quoi nourrir ses troupes, mais on  lui fiche la paix !.. On n'exige rien de lui. L'Escadron est à Yao dans le Fitri, chez les Boulalas, vilaine race. Les femmes, en grand nombre affreuses, à peine vêtues, sont coiffées de   telle  façon  qu'avec le   secours de graisse, leurs  cheveux forment  sur leur tête  une  sorte  de   casque "Gallo Romain".   C'est à la fois sale  et   curieux....
Au Nord-0uest  du Fitri,  nous possédons  le  KANEM à la rive orientale  du lac Tchad,   région pauvre également, moins que le Fitri pourtant. Un peloton de  l'Escadron tient garnison au Kanem à Bir Alali, siège  de 2 combats  contre  les  Touaregs  (9 9bre  1901 et 20 Janvier 1902) affaires auxquelles ont  pris part nos spahis  (peloton du Lieutenant DUPERTUIS). Une  Compagnie de Tirailleurs occupe aussi au Kanem: N'Gouri, appelé Fort Onillot et MASSAKOURI dans le Dagana. Le  Capitaine a reçu ce mois-ci un courrier du Lieutenant DUPERTUIS lui rendant compte qu' il a repoussé, avec 60 tirailleurs du bataillon du Chari, le onze d'Août dernier, un fort parti de Touaregs des tribus du KANZER et d'ABD-el-KADER auxquels il a pris environ 500 chameaux. Battus,  les Touaregs ont disparus au Nord du lac Tchad   (Combat  de KOROFOU 11 Août 02} Le partage des territoires du centre de l'Afrique fut si mal fait en notre  faveur et  si bien  fait en faveur des Anglais et des Allemands,   qu'une chose essentielle nous manque:  la communication directe et  sûre du  Tchad avec le  3° territoire ZINDER. Du Chari, il eut été rationnel que nous puissions nous relier à Zinder par l'Ouest du lac Tchad, par le Bornou, route à peu prés sûre et pas privée d'eau et de mil. Mais non, cette voie est fermée aux français qui doivent se relier au Zinder par le Kanem; c'est à dire par l'Est et  par le Nord du lac Tchad, par le désert,  par conséquent,  gardé par les Touaregs Dignerra jusqu'au 3° territoire, bien à l'ouest du grand lac. D'où route privée de tout et dangereuse,  il est impossible de songer à passer par là. Voilà donc pourquoi nous ne pouvons relier nos possessions du Tchad au Soudan par Zinder.
A l'est du Fitri,  se trouve une région donné comme riche;  le Guadaï entre  les mains de  sultans: B0UD MOURAZ  & ABAS GHAZAL qui  sont  toujours en  guerre  et dont un ACYL est  venu se  placer sous notre  protection.  Cet état de  choses a fait jeter les yeux des Français par là. Notre  capitaine  est en relations avec le sultan ACYL qui désirerait  qu'on  se  rapprochât de lui. 

 A la fin de Septembre,  le 29, nous avons quitté le  camp; Capitaine, 2 sous-officiers, notre  trompette blanc et 30 spahis,  tous armés pour pousser une  reconnaissance et voir ACYL. La lere journée, nous campons au bord de  la rivière le BAR-BAT-HÂ,  qui  se perdant, dans les lagunes au Fitri,  descend vers l'Ouadaï qu'elle traverse. Fait curieux: en plein hivernage,  le Bar~Bat-hâ est à sec. Ici  aussi,  les pluies ont été rares.  Que deviendra le mil cette année?
Le  30, nous atteignons les hauteurs du MEDOGO et  campons devant le village de ALÎFÀ,  au pied des montagnes.
Octobre. - Le 1er,  à 6 heures du soir, nous entrons à MANDOLE, village qui eut autrefois de l'importance par la résidence de  sultan. Ce n'est plus  rien aujourd'hui.  Le  2, au matin, nous quittons Mandolé pour nous rendre au  "tata" du sultan ACYL à quelque cent mètres de là,sur l'autre rive de la rivière à ALI.     .
Formés en bataille, trompettes sonnant en tête, Européens groupés (nous étions 4) nous arrivons. Rien de brillant dans ce "bakan"  (lieu). Le sultan est dehors,  entouré de  ses guerriers, chef à cheval et fantassins.  II monte un bien joli cheval, harnaché et équipé richement. Tous ses gens  sont armés da fusils (Gras, Remington, fusils à pierre) de sabres, lances et sagaïes (Ceci pour la réception et non pour la bataille.) Un bruit discordant sort de quelques instruments de  cuivre,  un guerrier souffle même dans un piston Un air qui ne  varie pas.  Les femmes sur le  seuil de leurs cases, nous saluent en poussant des cris aigus,faisant de leurs bouches une musique avec leurs mains. C'est un grand événement pour ces gens-là que l'arrivée des NASSARAS (  blancs) dans leur village.  Nous piquons un galop allongé sur cette horde assemblés et nous arrivons  devant le sultan. Celui-ci peu soucieux des règles du protocole et fier d'ailleurs, ne  s'avance même pas vers le  Capitaine.
Bref, les Salam-Aleks se font tout de même. ACYL est jeune encore de 20 à 25 ans.  Il s'est réfugié dans le Médogo parce que sa vie était menacée dans l'Ouadai".  Ses frères,  sachant qu'il devait régner, le tueraient ou lui crèveraient les yeux,  les moeurs sont telles chez  les gens de races où le futur régnant s'il ne  se garde pas est  certain de  disparaître  ou d'être rendu infirme par les soins de  ses proches parents qui voudraient régner à sa place. Aussi,  ACYL,  en se rapprochant de nous, a son but:  nous faire marcher  sur ABECHER,   résidence dans l'Ouadai de ses frères et parents qui le menacent et le placer sultan. Je n'entre  pas dans les avantages postérieurs que retirerait la France de cette conquête, mais le plus important serait que nous trouverions, au Ouadai, région fertile, commerciale, écrit-on,puisque c'est le passage des caravanes de  la Tripolitaine,  et surtout de quoi vivre avec nos troupes, tandis qu'à Yao, dans le Fitri, nous vivons péniblement de razzias au jour le jour et en outre,le Fitri n'arrivera jamais, non seulement à nous nourrir,mais aussi à rapporter un centime à la métropole. Jamais un concessionnaire ne viendra s'établir dans ce pays, trop éloigné  de France, et où le sol ne produit rien. D'ailleurs, comment le colon et à quel prix d'argent et de dangers, apporterait-il ses marchandises et les exporterait-il et avec qui les écoulerait-il  ( Il pourrait tout au plus se payer en plumes d'autruche! On en trouve quelques unes au Fitri et c'est tout...  Peu ou pas d'éléphant, mais d'autres sales bêtes.        .                                        
Mais un obstacle se dresse tout à coup devant notre marche sur l'OuddaÏ, c'est que:  par dépêche Mlle du 5 Juillet dernier, comme à Yao fin septembre, nous apprenons que le Tchad n'est plus territoire militaire et que désormais l'administration civile régnera en maitresse dans la colonie des Pays et Protectorats du Tchad - Colonie que le Ministre des Colonies déclare de son pavillon de Flore pacifiée et productive  - Il y a de quoi rire! qu'il y vienne donc voir M. DOUMERGUE, mais qu'il ait le soin de  se faire suivre de cartouches et de  conserves alimentaires. 
Ainsi donc, quand se fera l'Ouadaï? Je ne le  sais. 
Je reviens à ÀCYL et à sa réception originale.

II a faif exécuter devant nous et y a pris part lui-même, une "fantasia" par ses chefs. Tous, au galop furieux, de leurs chevaux, burnous au vent,  tapis brodés, brandissant sabres, lances,  sagaïes, passaient et repassaient par groupes. "Pauvres jarrets des chevaux, ceux-ci sont arrêtés net et sec au milieu de leur courses."
Nous avons pris ensuite possession d'un petit camp préparé pour nous: cases en cannes où le soleil entre comme chez lui et où je  suis obligé de faire la sieste avec mon casque sur la tête. Hommes et chevaux ont abondamment à manger aujourd'hui;c'est le sultan qui fournit                                                           
Ce que j'accueille fort bien,  c'est le  "moussé" où "pipi", boisson du pays faite avec du mil, qui nous arrive dans de pleines ""broumas", cruches en terre, (bière fermentée) J'en bois largement.

Le soir, nous nous rendons chez le sultan; un chef est venu nous chercher. A notre arrivée,  bruit furieux du tam-tam. Avant de pénétrer chez le  sultan,  ou plutôt,  à la lere porte du bakan, ce  chef pose son turban et ses chaussures à terre,  et ainsi nu-tête et nu-pieds, pénètre dans les cases du maître,  car nous suivons un dédale de cases et de petits couloirs avant d'arriver à la case d'AGYL,
Nous y voilà! Le sultan est nonchalamment allongé sur un tapis à terre et  sur 2 énormes  coussins,   il ne  se lève  pas. Autour de lui quelques principaux chefs. Nous serrons la main à ACYL, qui nous salue en murmurant des salam ! et en se battant la poitrine plusieurs fois avec les mains. On nous fait asseoir sur une sorte de lit. D'autres chefs entrent toujours nu-tête et nu-pieds, tout ce monde s'asseoit par terre et se range dans le fond de la case;  2 Eunuques entrent aussi, ce sont 2 hommes énormes, gras comme des moines,  gardiens des femmes du sultan!  La conversation s'engage. Le sultan est content da notre visite  chez lui,  il voudrait que  l'Escadron entier vienne camper à ATi,  village aux environs de son tata. Le capitaine  lui dit qu'i1 peut faire savoir aux Ouadaïns que  les blancs et leurs soldats sont venus  le voir et qu'ils sont avec lui  et que nous retournerons bientôt !
Ce retour s'accomplira-t'il? M. l'Administrateur du Tchad, prévenu par la dépèche du 5 Juillet, en décidera :
Je doute fort qu'il donne  l'ordre de marcher sur l'Ouadaï. Tant pis car ACYL se croira trompé et  se tournera contre nous,      
Nous quittons le sultan et rentrons au  campement. Le lendemain matin nos spahis exécutent des feux et manoeuvrent devant le sultan qui  fait  faire une nouvelle  fantasia.  Le lendemain,  départ  pour Yao.  Nous partons tard,  nos 2 boeufs porteurs ayant  été enlevés par l'homme - un Ouadaïen - proposé à leur garde.. le sultan nous en fournit d'autres ainsi qu'un  troupeau de moutons et quelques boeufs.
Le retour s'effectue par un autre sentier qu'à l'aller;  la 1ère  journée est particulièrement pénible,  avec un soleil de plomb nous manquons d'eau toute la journée, nous faisons la cuisine à sec, impossible de  faire le café. Le  soir, nous atteignons le Bar-Bah-ià,  la rivière avait heureusement un peu d'eau claire à cet endroit. Nous y couchons, le  lendemain,  nous trouvons un marigot vers midi  et nous prenons un bon  campement le soir. Comme il n'était pas très tard,  je pars à la chasse avec le  trompette Pinon et un boy,  dans le but d'améliorer notre  repas. Nous parcourons environs 15km de brousse,   armés de nos carabines 90, nous attachant à suivre des traces de  lion et  de rhinocéros que nous ne trouvons pas. Nous allions gaiement ainsi, oubliant la pintade,   sans nous soucier de la désagréable  surprise que nous eut sans doute fait la rencontre de  ces animaux. Bref, nous rentrons bredouille,  sans même rencontrer une antilope, n'ayant vu que des singes qui nous regardaient curieusement, assis sur leur derrière sur les arbres,  et nous étant bien déchiré les mains et les effets dans la brousse. Pour comble de bonheur, nous avons à peine le temps de manger: un orage épouvantable se lève tout à coup, dure presque toute la nuit et nous mouille jusqu'aux os.  Je ne dors pas du tout cette nuit-là, mes camarades non plus d'ailleurs. Avec la pluie, nous entendons des hurlements épouvantables:  près de nous ou étaient parqués nos moutons,  une panthère vient à cinq reprises différentes,  ne réussit à enlever que deux moutons, chassée par les spahis de garde. Alarme dans le campement  cette nuit-là,  les noirs savent bien que s'il n'y avait pas de moutons,  ils auraient  à garder leur peau contre la panthère, Nous couchions au bord de  la rivière;   j'entends près de là un bruit insolite,  il faisait nuit noire et la pluie tombait toujours.  J'appelle le spahi de faction pour attiser le feu près de nous.  Il arrive et me dît: "Baah,  schrob, grippé" c'est-à-dire  "J'entends le lion qui boit là tout près". C'était complet ce soir-là.  Puis l'animal a cessé tout bruit et ne nous a pas inquiétés davantage;  il flairait quelque bon potage mais les grands feux du campements l'ont tenu éloigné.
Départ de bonne heure le lendemain, nous fumes vite secs, le soleil est matinal et vite chaud.
Le  6 Octobre, nous rentrons à Yao, J'étais enchanté de ma première sortie, ça distrait, malgré la fatigue.
Mais je  serais plus content encore  si la prochaine sortie nous menait dans l'Ouadaf et si je pouvais chauffer le canon de ma petite  carabine 90 sur cette race de nègres,peu hospitalière.
Octobre J'attends ce bon moment.
Le 10 Octobre est arrivé. Rien de plus à noter de curieux pour ce mois écoulé. La relève n' arrive toujours pas pour la cavalerie. Les cadres de l'Infanterie ont déjà leur remplaçant pourtant  et sont sur le chemin de France ! Le nouveau Capitaine de Cavalerie, ses 2 lieutenants, le vétérinaire, le Maréchal des Logis chef et un autre Maréchal des Logis annoncés, ainsi que le trompette et le sellier sont attendus avsc impatience, mais où sont-ils à cette heure?                
S'ils ont quitté la France le  15 Mai, un mois après CORNUT et moi,  ils devraient pourtant  arriver bientôt.             
J'ai  reçu ce mois-ci une bonne nouvelle:  mon admission à l'Ecole de  Cavalerie de Saumur qui date du 4 Juin. J'ai été reçu à la suite des examens écrits et oraux que j'ai passés à Marseille en Janvier et Mars.  J'ai  quitté aussitôt mon  galon de Maréchal des Logis que je portais depuis 8 ans et  qui demandait à être remplacé. !! Je crains fort qu'on me rappelle en France pour suivre mon  cours à Saumur. Au fond à l'heure  actuelle,  avec l'avènement à la Colonie de l'Administration civile, qui  compromet  sûrement toute opération militaire - en vue - je  regretterai moins de  quitter le Tchad avant la fin de mon séjour. Rien à espérer;  inutile donc de  crever de  faim à Yao..,

8bre. - Bonne Journée, un convoi arrive de Fort Lamy à 1 heure, nous ravitaillant complètement de notre ration Jusqu'à fin Novembre. Nous allons pouvoir reboire du café!
Le  Commandant LARGEAU,   qui, avant la dépêche Mlle du 5 Juillet était venu au Tchad comme  Commandant supérieur des troupes, écrit au Capitaine de l'Escadron que pour le moment 2 problèmes se posent: Qui commandera?- Quelle politique suivra-t-on?
8bre. -  Un courrier urgent arrivé à midi de Fort Lamy: le capitaine apprend avec mécontentement que son remplaçant, le Capitaine Durand  a manqué le bateau du 15 Juin en France!  Le  capitaine ne sera donc parti qu'en Juillet.  Par contre, arriveront bientôt M. LEBAS ,lieutenant, le Vétérinaire, le  chef, 1 Maréchal des Logis, 1 trompette, le sellier,  qui se sont embarqués en Juin.
Un Lieutenant M. BOURET a déjà été dirigé sur le KANEM pour remplacer M. DUPERTUIS.  Le Commandant écrit  au Capitaine que:  "Nous ne marcherons pas".  Comme la vie est impossible à Yao,  le Commandant  parle de nous envoyer au Kanem, mais il se demande quelles conséquences aura l'abandon du sultan ACYL, et des promesses qu'on lui a faites?                                                  
Celui-ci ne  sera certes pas ravi du fait et va chercher avec d'autres sultans du coin une combinaison qui pourrait ne pas nous être agréable.

-.   A 3 heures ce jour, le Capitaine  CORNUT et moi avec 40 spahis nous quittons le camp, nous allons faire une reconnaissance au MEDOGGO, région placée sous la surveillance du Capitaine DANGEVILLE.
Vient avec nous,  pour servir d'intermédiaire avec les indigènes,  le  sultan de Yao , ASSEM et  sa suite,  une  cinquantaine  de soldats. Nous couchons le même jour à DJENOLADI,  pauvre petit village Bélala à 15km de Yao,
-  Départ à 6 heures,  passage à TCHECHoU où nous trouvons un peu de mil pour nos chevaux,  coucher à DOLKO,                
-  Départ à 6 heures,  passage à MIGNI,  village juché sur la montagne du même nom.  Les habitants prennent  la fuite à notre arrivée.  Le sultan parvient à nous faire  procurer 3 moutons, c'est maigre pour assurer notre noùrriture, celle des spahis, des boys. Pas de mil pour nos chevaux,les spahis en coupent sur pieds.
Nous campons auprès d'un marigot jusqu' à 3 heures de l' après-midi, et partons ensuite sur DJAHIA- Arrivée à Djahia vers 6h du soir.
Djahia est le nom d'une chaîne de montagnes, comprenant deux massifs principaux, reliés par un col.
Faites de rochers,  de blocs énormes accumulés les uns sur les autres,  la montagne de Djahia est très abrupte,  d'accès très difficile,  on n'y voit aucun sentier et pourtant  cette montagne est entièrement habitée.  Sa crête sur toute la longueur doit former de grandes cuvettes,   car 5 villages peuplés de KIRDIS occupent ces sommets.Ils sont invisibles du pied de la montagne.
Mais ici, une surprise nous attendait. Les Kirdis n'ont pas fui; ils nous attendent, au contraire avec l'attitude de gens prêts à combattre.
De tous cotés,  au-dessus de nos têtes,   derrière d'énormes pierres on voit émerger des têtes d'hommes et des sagaïes. Leur position est bien prise, forte,   car ils sont en haut et abrités, leur intention est bien arrêtée:  ne pas nous recevoir chez eux.
Nous la trouvons mauvaise, vu que nous venons ici nullement pour combattre mais en simple tournée de région.
Devant cette attitude insolente, le Capitaine fait rester tout le monde l'arme aux pieds et  commence d'abord par parlementer. L'ascension de la montagne était d'ailleurs chose impossible, chaque rocher cachant plusieurs sagaïes, et notre effectif étant, en outre, trop restreint pour pouvoir assurer et  la garde des chevaux et l'escalade.                              
L'homme envoyé par le Capitaine, un noir comme les Kirdis,pour assurer les gens des villages de nos  bonnes intentions et leur porter "l'Aman* (synonyme de paix) revint une heure après  et nous déclara que les Kirdis se montraient heureux que nous ne soyons pas venus pour les combattre et qu'ils allaient nous faire descendre eau et mil pour nos hommes et nos chevaux. Sur  cette assurance,  le Capitaine porte ses hommes à 150m environ du pied de la montagne, dans un endroit débroussaillé;  ordre est donné de desseller et de  s'établir pour la nuit.
Malgré leur réponse,  les Kirdis n'avaient quitté ni leur poste ni leurs sagaies, aussi le Capitaine fit-il prendre à sa petite troupe des dispositions de sûreté, bien nous en prit...
Les spahis sont placés en carré,  3 faces de 9 hommes et la 4° composée du poste de police. En avant  des faces, et  sur la limite du débroussaillement, un petit poste de 3 hommes, 3 feux sont allumés sur chaque face,  car il fait déjà nuit.  Les chevaux,  attachés par leurs entraves, au centre du carré. Du côté des Kirdis, rien ne vient. Il y a déjà longtemps pourtant que le 1er parlementaire est revenu.  Le Capitaine en envoie un deuxième car hommes et chevaux meurent de soif.  Le nouvel envoyé porte encore "l'aman" et va réclamer l'eau et le mil promis. Environ une heure, après  celui-ci revient,  portant au Capitaine  cette réponse des Kirdis:   "II est trop tard maintenant, le chëf du village ne veut Pas descendre; demaîn matin,  on vous enverra l'eau et le mil..."
Ce  changement ne me dit rien qui vaille. De plus, nous nous passâmes de manger et de boire ce soir-là; noa braves spahis et nos pauvres chevaux en firent autant.
"Qui dort dîne" dit le proverbe. Oui, mais ce n'était ni le moment ni l'heure de l'appliquer.   Tout  le monde le   comprit, heureusement, personne des nôtres ne s' endormit Seuls, les Boulalas sujets du sultan ASSEM qui nous accompagnait  et qui  s'étaient établis sur  le prolongement d'une face  au nombre de  50 environ , piquèrent la romance...
Je m'allongeais sur ma natte, sans fermer l'oeil, ma carabine chargée et à portée de ma main... II devait être minuit, les feux, faute de bois,  languissaient sans trop nous éclairer quand subitement, un potin infernal  des cris et des coups de fusil se font entendre et en un clin d'oeil, nous sommes tous debout...C'était l'attaque !                         
A la fois, sur chaque face, débouchent de la brousse et de la montagne, sans aucun bruit,  et  sans qu'on n'ait pu les voir,  environ 500 Kirdis armés de leurs  sagaies qui, profitant de la nuit voulurent nous  "zigouiller".
Immédiatement,  CORNUT et moi nous nous postâmes  sur  la face de notre  peloton.  Mes  9  spahis tiraient  déjà sur cette  ligne humaine  que  l'on voyait à peine.   La voix du Capitaine  ordonne les feux de salve.  Sur chaque face et  rapidement exécutés,  on perçoit le  "brrrouu" régulier de nos bons 90 qui  doivent  coucher à terre de nombreux Kirdis. C'est  ce  qui leur fiche la frousse, car ils n'avancent  pas  jusqu'au carré, quoique   supérieurs en nombre. Malheureusement la panique va se loger chez nos chevaux: pendant la fusillade,  plusieurs d'entre eux,  cassant leurs entraves,  fichent le camp dans la brousse. J'en voie passer près de moi, mais j'apprécie  que ça n'est guère le moment de les retenir.  Je  puis dire  que  jusqu'à ce moment  précis un peu plus d'un quart d'heure  s'était  écoulé,  je  considère ce laps de temps comme la première phase de l'attaque, car il y eut une deuxième phase qui  eut pu nous être  fatale, voici comment:


Les assaillants de  chacune des faces,  d'abord repoussés par les feux nourris, cachés par la brousse et la nuit noire, se portèrent ensemble du côté de la face où se trouvaient les Boulalas.  Ceux-ci, désagréablement surpris pendant leur sommeil, ne tinrent pas bon a l'attaque;  quelques-uns étaient armés de sagaies et d'autres de fusils à piston.
Ce fut l'attaque, aussi soudaine que la première,  de tous les Kirdis à la fois, masse compacte et hurlante  se jetant sur une seule face du carré.
Les feux des spahis de cette face furent  impuissants à arrêter cette vague humaine,   surtout que les Boulalas n'ayant pu se reprendre  cédèrent bien vite à la poussée d'une ligne de fers au bout de sagaies. Mauvais moment alors,  cette face ouverte et les Boulalas qui eussent pu amener le désordre. Des coups  de  fusil partaient de toutes parts,  au jugé bien entendu, nous n'avions pas perdu le calme et le  sang froid, mais en ces quelques minu
tes de cris, de hurlements poussés par les Kirdis et de coups de feu qui frappaient l'air, nous subissions tous un calme quelque peu agité.
Voyant et jugeant d'un coup d'oeil la situation, le brigadier indigène CANDE-DIALO qui commandait  la face voisine de  celle attaquée,  fit faire une conversion à ses spahis et amena ainsi sa ligne de feux sur la masse grouillante qui entrait dans le carré. Ce fut une excellente idée,  car les Kirdis,  frappés à chaud et à bout portant, appuyèrent, ainsi secoués, du coté opposé,  tournant le carré de nos chevaux et  s'enfuirent par un angle vide. Ce fut le signal de leur déroute,  tous suivirent le même  chemin, affolés,  disparaissant dans la brousse où nous les poursuivîmes de nos feux. J'eus la  satisfaction de les voir défiler tout près la face que je  commandais et  de  leur infliger quelques bons
feux de  salve .                                                      
Ainsi put finir, ce combat de nuit, où nous réussîmes, heureusement à éviter un désastre, Les Kirdis regagnèrent  sans doute leurs repaires  dans la montagne,  l'obscurité régnait toujours... Tout ce que je viens de citer s'était passé en une demi-heure environ.

Le Capitaine vint vers nous, nous n'étions ni tués ni blessés.
On se reforme aussitôt solidement pour parer à une  nouvelle attaque. C'est ainsi que, à partir de ce moment, il devait être une heure environ,  jusqu'au lever du jour,  vers 5 heures, nous restâmes à nos places respectives,  dans la position du tireur..... On entendait les voix et surtout les plaintes des Kirdis,  leur tam-tam de guerre également, mais la première épreuve leur avait suffi,   ils ne firent  pas une nouvelle attaque. L'obscurité devenant de plus en plus profonde,  je fais mettre le feu à la brousse du coté que j'occupais, aussitôt de grandes lueurs se levèrent,  et nous pûmes voir hommes et  chevaux,  blessés ou tués  jonchant  le  sol.  Jusqu'au matin, il fallut nous  garder, et nous ne pûmes en aucune sorte nous occuper des blessés. De plus, c'était bien simple,  aucun médicament sur nous. Nous n'étions pas partis pour livrer bataille.

J'avoue que je n'aie éprouvé aucune émotion quelconque durant cette demi-heure de lutte acharnée, cela tient sans doute à la soudaineté de l'attaque et à aucune préparation de moi-même au combat ... Partant , pas de temps de réflexion, donc pas d'émotion. A
l*action de suite.

Les heures d'attente sur le qui-vive, jusqu'au jour, me parurent bien longues,  car j'entendais des plaintes des hommes blessés et les râles des chevaux éventrés par les sagaies.
Le jour arriva enfin, nous découvrant le triste tableau en petit de ce que doit être un vrai champ de bataille ou des milliers d'hommeS ont combattu !...
Nous cherchons vivement nos blessés: un seul spahi a été tué, 2 boys blessés. J'oubliais le spahi SELLTNE, blessé àl'oeil droit d'un coup de sagaie.
2 de nos chevaux sont tués et 14 chevaux ont pris la fuite. Les Boulalas du sultan ASSEM ont été plus éprouvés: 8 des leur sont tués,  et ils ont aussi 8 chevaux de tués.              
Ne craignant plus le retour des Kirdis,  dont quelques-uns cachés derrière leurs rochers montrent la tête,  on opère à l'ensevelissement des morts. Cette triste   cérémonie terminée,  il ne reste sur le champ de bataille que les Kirdis tués,  ils sont plusieurs qui sont venus tomber sur nos lignes,  c'est pourquoi ils y sont restés;  les autres blessés ou tués ont  été emportés, grâce à l'obscurité par leurs camarades. Je suis convaincu que. les Kirdis ont subi des pertes énormes,  si je m'en rapporte aux larges traces de sang que j'ai vues sur les premières pierres de la montagne, le matin,  quand me rapprochant de celle-ci,  je cherchais a descendre avec ma carabine les quelques nègres qui  se montraient un peu
trop au sommet.  Ils ont donc emporté un grand nombre des leurs, blessés ou tués,  c'est aussi  ce résultat  qui les a retenus pour une nouvelle attaque et c'est aussi parce qu'il en manquait à  l'appel que toute la nuit  j'entendais les cris des femmes du village.        Cette sale négraille n'a eu  que ce qu'elle a cherché,  car chez eux, leur intention de nous attaquer était préméditée et leurs mensonges deux fois répétés en voulant nous faire croire qu'ils nous donneraient de l'eau et du mil, n'étaient fait que pour gagner du temps et nous surprendre.
Ils ont voulu, en effet, commencer par nous apporter les fourchettes, sous la figure des sagaies, pour le repas du lendemain; mais, lâches Kirdis, cela n'a pas pris avec les Nasarras ("blancs")
Nous n'avions plus rien à faire sur la place,  dans l'impossibilité de déloger les Kirdis de leurs repaires. De plus,  avec l'estomac vide chez tous depuis près de 24 heures,  ayant surtout une soif ardente, et ne connaissant auprès de nous ni eau ni mil il fallait s'en aller chercher ces deux réparateurs......
Toute  la nuit d'ailleurs,  les Kirdis avaient employé leur télégraphe avec leurs voisins de MATAÏA,  situés à 30 kilomètres de là. Cette télégraphie sans fil se pratique chez les noirs, aux moyens de grands feux et par moments, la flammne a des oscillations peu naturelles, Ces feux allumés sur le sommet de la montagne Djahia avaient été vus des Kindis de Mataïa,  qui eux aussi de leur hauteur, télégraphiaient par des feux (30km environ).
Le Capitaine avait bien vu toute cette comédie-là et m'en fit part le matin.  Il était prudent de quitter Djahia avant que les Kirdis de Mataïa ne  se décidassent à venir combiner leurs efforts avec leurs amis de Djahia.
On sella les chevaux qui restaient, les cavaliers démontés partirent à pied et nous reprîmes la route de retour,  la même qu'à l'aller, sentier étroit où l'on ne marche que par un et où les épines vous déchirent les effets.
Quelques blessés mourants des Boulalas furent portés sur des brancards improvisés, un de ces hommes que  j'avais soigné comme faire se peut avec mon paquet de pansement individuel réglementaire,  qui me servit à lui fermer une large ouverture béante, faite par une  sagaie au bas-ventre et d'où sortaient les intestins,  ce même blessé,  dis-je, arriva mort à la  halte.

C'est donc ainsi, que dans la nuit du 26 au 27 Octobre je reçus le baptême du feu.
Le 30 Octobre, nous rentrions au camp de Yao. Le Capitaine CORNUT et moi,  saints et saufs.
Aussitôt, le Capitaine prit les dispositions pour s'assurer la prise du sultan ABDERAMAN   chef des Kirdis,  prévenant pour cela le sultan ACYL,  chef de  ce  dernier,  qu'il ait à renvoyer le plus tôt  possible les chevaux qui avaient  fui et  les  quelques couvertures à cheval et 2 sabres que nous avaient volés les Kirdis et surtout  de nous  remettre le  sultan ABDERAMAN.   Que ferons-nous par la  suite?  Il est  difficile de le  prévoir,   puisqu'en  ce pays pacifié,  dit-on, un Capitaine  en tournée de police avec 40 Spahis, se  voit refuser toute nourriture  et  attaquer  en pleine nuit !! mais la consigne est aujourd'hui celle-ci au Tchad:   "La sagesse   commande  d'attendre ".   Le  rôle  à jouer est  celui   d'une "surveillance pacifique".  C'est dommage  que  les noirs du territoire l'ignorent,  peut-être,  s'ils le  savaient, se rangeraient-ils à ces trop sages prescriptions...
Tels sont les faits.  Ils sont indéniables,  j'en  suis un témoin .
-  Arrivée  à Yao du Maréchal des Logis CROTEL,   qui  fait partie de la relève.  Il nous apprend que le  Lieutenant  LEBAS est à quelques jours derrière lui, avec le  sellier.
-  Cette nuit,  une panthère  vient nous enlever un  jeune  Veau.   J'ai été éveillé  subitement par le coup de fusil tiré par la sentinelle  sur la panthère. Ma case est voisine du poste  et  ce  coup de fusil a rompu mon sommeil.
Arrivée  au camp du Lieutenant LEBAS et  du sellier BOZOf.  Nous voilà maintenant  7 blancs au  poste.
9bre. _ je trouve mon  saint  Patron mis sur le calendrier: Saint CHARLES, mais je ne puis même pas offrir un verre de vin aux camarades, la ration seule emplit nos bouteilles.  Devant cette bonne raison, je ne dis rien.
_ Arrivée de 9 chevaux perdus à Bjahia que nous envoie le  sultan ACYL. Chacals et hyènes ont hurlé toute la nuit autour du camp où un cheval mort  avait  été déposé.  Bons agents  de la voirie  que  ces animaux-là, ce matin,   le cheval avait  disparu !...
Octobre. - Ces  Jours-ci,  nous avons dû  faire  creuser  deux puits:   l'eau manquait dans  les mares, la  lagune  est  à  sec . L'eau des puits est  très claire et bonne. c*est une  joie  pour nous,  car il y a longtemps que nous buvons de l'eau sale.
9bre. - Arrivée de notre nouveau  Capitaine CDT M. DURAND et du Maréchal des Logis PLOUCHART. Joie  pour le  Capitaine DANGEVILLE, qui va enfin pouvoir  rentrer en France , ainsi   que le   Trompette PINON.
Nous apprenons que  le  Vétérinaire M. MAIRE et  le  Trompette SAINT SEVAN sont  partis  pour le Kanem,   où nous allons tous aller  sauf le peloton du Lieutenant LEBAS quî  reste  dans la  région.
Nous quitterons Yao Avec plaisir le 1er Décembre je  croîs, pour aller à N'Gouri et de là sur les bords du lac Tchad.
- Départ du Capitaine DANGEVILLE et  du Trompette PINON. L'Escadron possède actuellement tous ses  cadres Èuropéens.       
En nous rendant au Kanem,  il était question d'aller razzier les Krédas, mais il nous faut y renoncer,  nos chevaux n'étant pas en état de marcher, ils ne mangent  que de l'herbe depuis plusieurs mois.

 

- Préparatifs de départ  J'ai  été voir le sultan ce matin pour acheter un boeuf porteur sur lequel ma femme "Mme Fatmé" montera pour faire la route.(tout européen a droit à une femme indigène et touche pour elle la ration).
-  J'ai  reçu mon boeuf "torr" au prix de deux boubous (sorte de vêtement de coton) !  Ce n'est vraiment pas cher !... .

1Xbre.  - Départ de Yao à six heures du matin, nous laissons le premier peloton qui doit aller s'établir à BEDANGA,   sous le commandement du Lieutenant LEBAS,  le Maréchal des Logis CROTEL reste avec lui. Ce peloton a reçu des instructions spéciales. Après avoir rendu les honneurs en signe d'adieux à notre camarade FOUCHÈ dont la tombe est voisine du camp,  nous nous mettons en route. Mon  peloton, le  troisième, compte 28 indigènes et toute la smala, c'est-à-dire pour mon peloton seulement  48 femmes, 5  enfants, 25 boys, 14 boeufs,  2 vaches  et  quelques ânes.  Ce bétail est la propriété de mes spahis et tout ce monde-là forme un convoi qui n'en finit plus. L'Escadron a pour son matériel et les bagages des Européens 20 boeufs. Très curieux à voir ce défilé de femmes montées sur leurs boeufs,  disparaissant au milieu de nattes,  paniers et calebasses  (le matériel du ménage), d'autres femmes moins privilégiées, marchant à pied, portant leur enfant sur le dos, et sur la tête un volumineux paquet qui atteint presque  un mètre  de haut; les boys à demi-nus, portant la gherba pleine d'eau; d'autres boeufs,  des bourricots,  des moutons,..bref toute une horde de bêtes et de gens rappelant un peu ces hordes guerrières du  temps des  combats Homériques!!!
Nous avons couché  le soir à MELME  grand village de 150 cases; le sultan Yaoua nous fournit un peu de mil pour nos spahis et nos chevaux et quelques poulets pour les blancs . Melmé est à 2 km de Yao ,
2 Xbre.  - Nous quittons MELMÈ à 5 heures 1/2. Après 4 heures de marche,nous arrivons à TCHOKOLO,  ayant trouvé sur notre  route 3 villages abandonnés.  Les habitants avaient pris la fuite, prévenus de notre arrivée.  Là nous trouvons un puits d'eau potable. Départ de ce point à 8 heures du soir, nous marchons toute la nuit Jusqu'à 4 heures du matin pour arriver au village de ASSANI, que nous trouvons désert.  Puits et mare nous permettent d'abreuver hommes et chevaux.
4 Xbre.  - Départ  dans l'après-midi pour HAOUNI; 2 heures de marche. Haouni, grand village de  100 cases en  paille, au pied d'une colline de rochers, troupeaux de moutons et de boeufs;  une mare et un puits.
6 Xbre.  - Nous quittons Haouni à 7 heures du soir pour nous rendre à MOÏTO.  Nous marchons pendant 12 heures de  nuit  jusqu'à 7 heures du matin.  Le  sentier,  comme partout  ici, viable pour un seul cavalier,  est  bordé  pendant longtemps d'arbres épineux. J'ai eu de la peine  cette nuit-là pour lutter contre  le  sommeil; je dormais à cheval et  j'étais éveillé  souvent par les épines qui me labouraient le visage.  J'avais à l'arrivée, une égratignure profonde qui allait de l'oeil au cou. Nous avons fait cette nuit près de 60 km.  Le premier village,  au pied d'une montagne,  est à 9 heures de marche de Haouni. Arrivée à MOÏTO grand village, vers 7h du matin. Nous sommes maintenant  dans  le BAGUIRMI;  l'alifat de Moïto est  sous l'autorité du sultan GAOURAN.  Ce village est riche en mil et en troupeaux.  II y a de nombreux puits d'eau potable.
Nous trouvons ici,   de  la part  des habitants,   un bon accueil. 
Un fort ravitaillement de mil, préparé pour l'Escadron à Moïto nous oblige à rester trois Jours au village..              
Xbre  séjour à Moïto. Campement au pied de  la colline où souffle toute la nuit un vent furieux:   les nuits sont très froides, nos spahis se  sont  construits des abris et allument des feux.  C'est ainsi que dans la nuit du 6 au 7 nous fûmes réveillés par des détonations.   Je me  lève  surpris,   car à Moïto,  nous étions en pays sût,   que  s'était-il passé? Le feu avait pris dans la case de mon maréchal des Logis indigène devorant carabine,  cartouchière dont les cartouches faisaient explosion,  et tout  ce qui  se trouvait là. Affolé, mon sacré DEMBA-KAMALA, c'est  le  nom de mon Maréchal sénégalais,   quitte  sa case et sa pauvre femme,  couchée avec lui, est à moitié brûlée par les flammes. Elle meurt  dans la matinée; la malheureuse était horrible  à voir. DEMBA est  consterné, heureusement  pour lui qu'il  lui  reste  son  enfant, un joli bébé noir et sa seconde femme,  qui n'étaient  pas couchés avec lui ce soir-là.

Xbre. _ Départ de Moïto à 7 heures du soir. Scène déchirante par les  femmes des spahis qui doivent laisser leur amie brûlée, la femme de DEMBA, le  tableau est curieux dans son originalité douloureuse, des femmes se  roulent par terre en poussant  des cris épouvantables;  d'autres prennent du sable  dans leurs mains et  se le jettent sur la tête ou le visage,  quelques-unes, plus énervées, font de  vrais bonds en  se laissant   tomber à côté  de la malheureuse victime du feu.   J'autorise DEMBA à rester au  campement avec les femmes d'un spahi,  pour enterrer sa femme quî ne  survivra pas à ses brûlures. Nous  parcourons 45 km pendant  la nuit. Décidément ces marches de nuit  sont éreintantes,  je dors et  je crois bien  que mon  cheval en fait  autant   car je  risque  2 ou 3 fois de me fiche  par terre.  Je ne suis pas le seul à dormir, car le matin, plus d'une figure apparaît marquée par les épines.
                                                                        
Xbre.  - A 4 h du matin , nous arrivons à RAMA. Point d'eau,  grande mare d'eau boueuse. Nous faisons tout de même un café détestable que j'avale volontiers,  car c'est une boisson chaude mais au fond de mon quart,  je  trouve plus de sable  que de marc de  café. Nos boys allument un grand feu, car il fait froid, et nous nous endormons tous par terre, autour du feu, jusqu'à 6h 1/2, Au matin, je reconnais que le point est tout à fait charmant, la mare est grande, a beaucoup d'eau  (mais elle est  sale); elle  est  remplie de  canards et de grands oiseaux qui y viennent boire. Tout autour de nous, de grands arbres font de  ce coin-là un bon campement.
Nous y passons la journée, tous ayant besoin de repos. Nous envoyons chercher de l'eau buvable à quelques kilomètres de là, au village de Rama et  quelques vivres.  On nous apporte du lait, quelques oeufs,  qui  sont tous mauvais,  et  des poulets.

Xbre. - Le  9 à 5h 1/2 du matin, nous  quittons Rama.  Après 6h 1/2 de marche et après avoir passé un puits, un village, une mare, nous nous arrêtons à METOURA,   qui est un campement  de noirs nomades, plutôt qu'un village.  Ces gens-là campent en  cercle,   sous des cases basses,  possédant de grands troupeaux de moutons et du mil en  réserve. Nous ne  trouvons plus un  champ de mil dans la région que nous traversons;  Ici le noir ne cultive pas,  c'est sa résidence d'hiver parce qu'il y a de l'eau. En été, ils habitent leur village, à côté d'autres points d'eau desséchés en ce moment et récoltent du mil. On donne à ces nomades le nom de Khozzam.
Nous campons à Métoura où ont été  creusés plusieurs puits.

L'eau,  assez bonne, se trouve à 10 mètres de  profondeur, mais le débit de l'eau est minine, car avec nos boeufs et nos chevaux les puits sont vite à sec.

10Xbre.   - Départ  le   10,   à  5h  45 du matin;  nous nous rendons à AMAR à 3h de marche  seulement. Nous avons traversé un campement  de Khozzam à MAGNER,  et à AMOR sont deux autres  campements de ces nomades, auprès d'un petit bar dont l'eau est boueuse.  Tous  ces points d'eau sont merveilleux pour y camper,  loin de nos yeux est maintenant la désolation nue du Fitri;  ici se trouvent de grande arbres,  un peu de verdure, et des oiseaux ravissants qui gazouillent toute la journée. Malheureusement, l'eau est  sale, il faut la laisser reposer longtemps pour l'utiliser à la cuisson des aliments. Comme boisson,   j'avale une  quantité de lait que nous donnent volontiers les Kozzàm, gens un peu  civilisés, moins noirs que les autres peuplades du Centre Africain,  ayant beaucoup de l'Arabe dans leur race et se frottant à une demi-civilisation  par leurs échanges commerciaux avec les caravanes Tripolitaines,  qui viennent parfois les visiter,
Ils possèdent   de nombreux troupeaux de boeufs, vaches,  moutons, et des poules en  quantité.
Nous  sommes entrés -où  tout au moins sommes-nous à proximité du DAGANA- région voisine  da Kanem où nous nous rendons.
- Départ à 5 h 30 du matin.  On rencontre aujourd'hui  quelques petits champs de mil auprès  des villages abandonnés. Nous passons près d'autres campements  de Khozzam, à 0MARA-LALTAR  où nous nous arrêtons pour déjeuner.
A 2h départ de  ce  point  d'eau où l'eau  des puits est  potable, autre village abandonné,   champ de mil. Au coucher du soleil,nous  campons dans  la brousse.  Pas d'eau nulle  part.  Pendant la sieste à Omara, notre troupeau de 36 moutons nous est pris, par quelques indigènes.  Le Capitaine envoie un brigadier et des spahis chercher notre  troupeau ou en ramener un autre. Au milieu de la nuit, je  suis éveillé par des bêlements,  c'étaient nos trois hommes, qui ramenaient un troupeau de 100 et quelques têtes.. Le Capitaine garde le double des moutons qui nous avaient été volés et confie les autres au guide pour les ramener au village. Nous repartons au petit jour avec un bon troupeau de 70 moutons,sécurité contre la faîm !!
18Xbre. - A 5h30 nous nous mettons en route. Nous marchons vers le Nord.
Le  sentier est  en mauvais  état.  A 1h 1/2 de marche,  nous rencontrons une  petite mare desséchée,  nous  passons ensuite  au campement de nomades du nom de ESSENADE . Nous faisons  la grande halte, à ce point d'eau vers 8 h. 15 . DU dernier campement de Omara jusqu'à celui de Essenad,  soit  sur un parcours d'environ  32 km,  l'eau manque  totalement.  Nous passons ensuite au  campement  de AB0UZE-NORA,  traversons encore une mare desséchée et arrivons dans la soirée après 5h 45 de marche au  campement  de MASSAN.  Là,  grande mare avec eau pour les animaux.
La région  que nous  parcourons depuis le   9 a un attrait  particulier, les nombreux canpements des Khozzam que l"on y rencontre rendent nos longues étapes beaucoup plus agréables. Si l'eau que l'on trouve dans les petits bars était buvable, ce  serait  parfait; mais  cette  eau est  toujours boueuse.  Ma foi,  quand je bois à mon bidon pendant  la route, je ne vois pas la saleté de l'eau et ça passe  tout de même !...

13Xbre.  - Départ du  campement à 5h 30 du matin. Nous nous dirigeons sur MASSAKORI,   toujours au Nord. Ici, la végétation change  complètement,  c'est-à-dire qu'au lieu de la brousse épaisse et de hautes herbes, l'oeil ne découvre que de hauts palmiers maigres et secs ne donnant pas un mètre d' ombre. Nous traversons deux mares, desséchées et après 6 heures de marche environ, nous laissons à gauche le  chemin qui  conduit  de Fort  Lamy à Massakori. Une 1/2 heure plus loin, 1e village de EL-GADEM:  40 cases en paille et  troupeaux. Nous nous arrêtons quelques minutes ici, n'ayant pu le faire encore depuis le départ, faute de 2 ou 3m² d'ombrage. Le soleil est brûlant toute la journée.  3/4 d'heure de marche après El-Gadem, nous entrons au village de MASSA-KORI ou ZÔL; sultan B0UBAKEUR;  beaucoup de mil sur le Bahr-el-Ghasal,  à sec naturellement. La population arabe est musulmane. À 1.500m de Zol, se  trouve le  poste de MASSA-KORI où flottent nos 3 couleurs. Nous faisons notre entrée au poste à une heure de l'après-midi, après 7h 30' de marche.  Un  sergent  français  commande  le poste avec 40 tirailleurs, nous déjeunons et pour ma part d'un excellent appétit. Je  trouve avec satisfaction  de  l'eau claire et bonne.
Grande nouvelle au poste:  Le  Capitaine  Ct,   trouve  ici un  courrier du  Commandant  des troupes,   lui apprenant  que deux combats le 2 et le 4 Xbre ont été livrés à Bir-Alali,  contre les partisans de SENOUSSI,  qui sont venus attaquer le poste et que deux
officiers,   le Capitaine FOUQUE et  le Lieutenant Poupart, de l' Infanterie Coloniale  ont  été blessés.   L'ordre  est  donné au  Capitaine de  changer de direction et de marcher immédiatement sur Bir-Alali. Le Capitaine Ct nous apprend cette nouvelle qui nous rend joyeux. Je vais enfin voir les fameux Touaregs !  Nous  couchons à Massa-Kori.
14 Xbre. - Déception! Le Commandant des troupes Cdt LARGEAU, arrive ce matin au poste... 11 trouve  ici un courrier satisfaisant  de Bir-Alali qui le décide à donner contre-ordre à notre Capitaine. Comme il n'y a pas urgence à marcher sur Bir Alali,  vu que les Touaregs ont subi des pertes énormes et se sont retirés, le Commandant prescrit au Capitaine de continuer sa route sur MADON (où nous devons passer une huitaine de jours pour donner aux hommes et chevaux un  repos nécessaire)  et  de  là nous irons à Bir-Alali.
Nous restons à Massa-Kori. Le  poste  a des provisions considérables de mil, les villages payant l'impôt  régulièrement.
_ Départ  à 5h15  du matin. Nous marchons presque continuellement dans d'immenses champs de mil. Nous traversons les villages de OUANDALA, B0U10I,  LELA, nous passons au puits de  SEKI, rencontrons d'autres villages DOUALA et DIOLOP à 4h de marche. Nous ne  pouvons  camper à Diolop faute  d'eau  pour abreuver nos animaux, le guide nous conduit à 2km du  village  où nous trouvons 3 puits donnant un grand débit  d'eau,   dans un  carré  de  terrain bas où surprise !  Je vois du joli blé  (ghemma) déjà sorti du  sol, bien vert,  dans de petits carés bien arrosés au moyen des puits. Tout près,  une petite  plantation de cotonniers.Je fais une  ample provision de coton bien soyeux. L'eau des puits est potable, à 2m de  profondeur à peine, coffrage en paille. 
Nous bivouaquons près de là.
Xbre. - Départ dans la nuit, avec la lune à lh 25. Vers 5h nous trouvons un village.  Le puits est au milieu d'un grand terrain vague encadré de petites élévations garnies de palmiers. Quel bel emplacement pour un hippodrome!
18 Xbre. - Nous allons bivouaquer sous des palmiers et nous avalons un quart de'café'chaud qui nous retape: Le froid est excessif, à cheval la'nuit', nous restons sous les palmiers où nous grillons toute la matinée; II m'est  impossible de trouver un abri pour faire la sieste. Mieux vaut marcher que de dormir sous un palmier ou au pied d'un buisson, avec un soleil brûlant  sur le caillou, même avec son casque  sur la tête. A 2h, nous ressellons et en route sur MADOU, point terminus de nos étapes.
                                         
Nous n'y arrivons pas tout de même  ce  soir-là. A 6h, arrêt à DOUNI-DOUNI.  Cette étape nous offre un aspect tout particulier. Nous suivons longtemps un  chemin à flanc de  coteaux, d'un coté, terrain élevé avec palmiers; de l'autre, vallée assez large pleine de grands roseaux de 4 à 5m de hauteur.  L'eau abonde dans cette vallée,  tantôt cachée dans  les roseaux,   tantôt  apparaissant en larges nappes brillant sous le  soleil.  Par  intervalle, on voit des puits, un petit village est à proximité et dans cette vallée,  sûrement très fertile, on voit de petites cultures,  soigneusement travaillées,  de blé, de cotonniers etc.. etc.. .Le chemin contourne cette vallée,  puis entre dans la brousse et reprend encore parallèlement à ces nappes d'eau.  Partout des groupes de cases, une certaine activité règne près de l'eau. Nous bivouaquons au bord d'un lac; sur le plateau près de là, se trouvent plusieurs groupes de cases. Nous sommes à DOUNI-DOUNI. Il y a longtemps que je n'ai vu pareille étendue d'eau. Nous approchons du Tchad!                                                   
Nous partons à 4 heures du matin. Même terrain que la veille,
A notre vue s'étalent de grands lacs.  Quand nous marchons en terrain  élevé , on découvre de nombreux villages et toujours de l'eau. Nous traversons d'immenses champs de mil. La route est longue,  car les lacs nous font faire de grands détours. nous arrivons enfin au village de MADOU.  Le poste a été établi au bord de l'eau; on se croirait ici dans une île;  tout autour de nous, on ne voit que de l'eau. Nous trouvons ici le Capitaine d'ADHEMAR, l sergent -major MERCIER; ces 2 Français reçoivent ici les approvisionnements en vivres et munitions destinés aux postes de Kanem, apportés ici par voie d'eau par la flottille  "le
Blot"  qui fait  le  service  depuis Fort Lamy. Le Commandant de la flottille est M.  l'Enseigne de Vaisseau ARDOUIN.
Le Vétérinaire de l'Escadron M. MAIRE a établi avant notre arrivée, avec le trompette SEVAT, un camp pour les deux pelotons. Nous trouvons des cases en paille et 2 écuries volantes. M.MAIRE n'est plus à Madou;  il a été mandé en hâte à Bir-Alali pour y soigner les blessés aux combats des 2 et 4 Xbre . Il y joue le rôle du docteur qui n'existe pas.  Le  seul docteur qui soit venu de France avec la relève est à Fort Lamy où il est constamment malade.
Nous établissons ici spahis et chevaux. Madou devient à partir de ce jour le poste occupé par deux pelotons de l'Escadron,

Le séjour à Madou, chez les Kananbous est plus agréable que celui de Yao au Fitri chez les Boulaîas. Nos chevaux doivent surtout s'apercevoir de l'heureux changement, car ils mangent ici 4 kilos de mil par jour,  ce qu'ils ne connaissaient pas au Fitri  depuis 4 ou 5 mois!  Quant à nous, noua voilà débarrassés de cette viande de bouc. Nous pouvons ici tuer du boeuf, manger des oeufs,  des poulets et plus tard,  nous pourrons sûrement nous Offrir quelques légumes de notre  jardin. L'eau  et la nature  du  sol nous permettent ce luxe-là à Madou.
Les nuits sont très froides ici. Il en sera ainsi jusqu'au mois de Février, paraît-il,  mais les journées n'en sont pas moins brûlantes. Nous avons fait ces jours-ci un peu d'inston à cheval.
Aujourd'hui 24,  l'ordre est donné de quitter Madou pour aller à Bir-Alali. Notre  repos n'aura pas  été long.  Nous partirons demain 25, jour de Noel,  avec les  spahis et  chevaux en  état  de supporter de nouvelles fatigues. Je ne puis emmener que 18 spahis,  car j'ai 8 chevaux blessée ou malades ou plutôt bons pour la réforme. Ces pauvres bêtss ne peuvent plus se retaper.  Je partirai donc avec 20 sabrés,  mon  trompette et moi et  18  indigènes. NOUs serons  débarrassés de la smala, femmes et gosses restant  à Madou ainsi  que  les spahis non montés faute de chevaux. L'ami CORNUT, fourrier, reste à Madou,  ainsi  que le sellier BOZ0N. Nous partons à l'effectif de 1 Capitaine  Ct, le chef, moi, le trompette (comme français)  et  39  spahis.
Ce soir, pendant que nous dînions, arrive  en baleinière le Commandant de la flottille. Il a laissé "le Blot" à quelques kilomètres de Madou.
Pour nous faire revivre un moment comme en notre chère Prance nous n'oublierons pas à minuit de nous réunir autour d'un maigre souper, légèrement arrosé de notre ration de vin et d'un supplément, je dois l'avouer, du  Champagne que notre Capitaine nous offre gracieusement. Allons, vieux père Noël, nous pensons à toi, même au Kanem ! Je vais me reposer en attendant  le  réveillon.
                                                                                             -A l'aurore du jour de Noël, nous avons quitté Madou. J'étais légèrement fatigué ce matin car notre  réveillon s'est prolongé fort tard dans la nuit!!
Nous nous dirigeons sur N'GOURI.  Nous avons établi notre bivouac ce soir près d'un grand puits d'eau potable. Un village abandonné KOULBOUKAO est à proximité.
- Départ  ce matin à 5h 45'. Bon chemin, mais sablonneux,  en terrain varié, nous traversons oasis,  vallées et  plateaux.  Ceux-ci sont garnis de villages importants,  DJIBILOUJÎ, riches en troupeaux, ânes,  et  chevaux,  grandes cases, A chaque vallée la nature du  sol change  subitement; au sable succède la verdure, une végétation verdoyante et les puits sont nombreux, ce sont autant d'oasis. Sur les plateaux où soufflent  de  grands vents, l'herbe est rare; il n'y a que  des arbres épineux et  des palmiers nains. Nous sommes arrivés au village  de N'Gouri vers 10h et nous entrions  quelques minutes après au poste  de Fort MILLOT, poste  important  commandé par un  lieutenant  et  deux sergents avec tirailleurs;   grand magasin de  vivres, quantité  de mil provenant de l'impôt du Cercle; environ 400 chameaux pour servir au transport des vivres sur Bir-Alali. Nous séjournons à Fort Millot où se trouve le Commandant des troupes, Aujourd'hui visite au cimetière où reposent le Capitaine MILLOT de l'Infanterie Coloniale,   tué à l'ennemi  le  9 Novembre  1901 et le  Capitaine BABLON de la même arme, assassiné par un tirailleur en Janvier 1902. Mon ami PLOUCHART, chef à l'Escadron, ayant  apporté de France une gerbe de perles que lui a remis le frère du Capitaine MILLOT,le Commandant  LARGEAU et  nous tous Européens réunis,  déposons cet ornement sur la tombe du glorieux Capitaine. En quelques paroles émues,le Commandant retrace la carrière de ce  soldat qui a payé le premier de son  sang la conquête  du Kanem.

Nous avons quitté Fort MILLOT  ce  soir a 2 heures 1/2. A 4h, nous avons établi le bivouac à GOURTALA, village important; oasis et puits. Le Commandant des troupes marche avec la colonne .
28 Xbre. - A 6h du matin, nous nous sommes mis en route, toujours vers le  Nord même terrain sablonneux et accidenté. Oasis dans les vallées ou les villages environnants font paître moutons, boeufs et chameaux.  Culture:  mil,  coton.  Plusieurs villages sont abandonnés. A 11h,  village de BENI-BASSA,  également abandonné;  4 puits avec fort débit nous permettent de nous établir dans ce  lieu.

29 Xbre. - Le vent a soufflé violemment toute la nuit, la  température a baissé  sensiblement depuis  quelques jours, tous nos hommes se mettent en route le matin avec le couvre-pieds sur le dos. J'en fais autant, car j'ai été gelé toute la nuit sur ma natte. Nous avons trouvé pendant deux heures une grande plaine nue, sablonneuse, puis de nouveau le  terrain ondulé  et  vers la fin  de l'étape, le chemin a longé une grands oasis de verdure avec dattiers d'une hauteur extraordinaire. Très curieux cette végétation  splendide, ce  terrain de verdure  succédant  tout  à coup à une nudité de  sable où de loin en loin on n'aperçoit que quelques petits arbres. Nous  campons ce  soir à l'MAHO,  village  important où l'alifat et ses gens viennent saluer les Français en nous offrant  des provisions: boeuf et lait, mil pour les indigènes.
Nous quittons Maho à 6h 30'. Même nature du sol. Après 3h de marche,  oasis et 1h 1/2 après village abandonné KOROFOU;  nous  nous arrêtons pour prendre le repas froid. Je  conduis la colonne dans l'oasis à 800m de là pour abreuver hommes et chevaux. Notre convoi de chameaux (92)  portant du mil file sur Bir-Àlali.  Il est midi, le soleil nous réchauffe;  pas d'ombre nulle part, aucun arbre. Nous déjeunons dans une case.  Le Capitaine FOUQUE (remis de  ses blessures reçues au  combat du 4) est venu à notre rencontre avec M. l'Interprète BAUDIN.  Nous  déjeunons tous ensemble avec la traditionnelle boîte à sardines,  et la viande froide et nous repartons à 2 heures.
A lh de Korofou,  nous apercevons déjà le drapeau du poste, de Bir Alali,nous sommes pourtant encore à lh de marche, mais nos 3 couleurs battent l'air à une bonne hauteur grâce à un tronc de palmier servant de mat,  droit et haut de 10 mètres. A 4k, nous  entrons dans le  poste appelé Fort PRADIÈ. Me voilà enfin dans le poste extrême du Kanem,  à Bir Alali,  siège de toutes les attaques des Touaregs,   en  ce  champ de  sable   rendu glorieux déjà par la belle  défense des nôtres dans une  série  de  combats où nos tirailleurs et   spahis,   énergiquement  commandés par les officiers et sous-officiers Européens  (Infanterie Coloniale et Cavalerie)  ont été victorieux contre un ennemi toujours supérieur en nombre, composé des fanatiques partisans des  Senoussistes Kindis,  Touaregs et autres races,
Ici  c'est  le point  terminus de notre occupation et loin, très loin derrière nous se trouve le Congo avec sa capitale Brazzaville à 3 mois de marche ! !                                                             
31 Xbre. -  Devant nous, c'est le Nord, le  sable, le désert!! La voie sûre
et peu facile qui conduit au Sahara Algérien; au cimetière du poste,  repose le corps du Lieutenant  PRADIÈ de 1'Infanterie Coloniale, tué  à l'ennemi le 20 Janvier 1902, jour de  la  prise  de Bir Alali (puits de Dieu}. Les tirailleurs au nombre de  17,   tombés aux combats des 2 et 4 Xbre y reposent  également. Aujourd'hui nous avons conduit en  sa dernière demeure un autre tirailleur mort des suites de ses blessures. L'affaire du 2 a eu lieu à  12km du poste à Tiona au sud-est de Alali, où se trouvaient deux sections de Tirailleurs commandées par le Lieutenant POUPART, en reconnaissance. Attaquée avant le lever du jour par des forces bien supérieures, la petite troupe a passé un moment  critique: les Tirailleurs  (des Sénégalais pourtant réputés par leur courage)  ont manqué  de  sang-froid devant  la fusillade nourrie et inattendue des Kindis;   ils se sauvaient.  Grâce à l'énergie du Lieutenant et d'un  sergent-major GUILLEMAIN aidés de quelques gradés indigènes, les fuyards purent  être  ralliés autour de leur chef et la troupe reprît  l'offensive, réussissant ainsi à se frayer un passage parmi les assaillants.  Elle  gagna ainsi le poste où elle arriva vers midi, n'ayant que 6 hommes. Les Européens sains et saufs.
Le 4,l'ennemi s'était rapproché du poste,laissant ses chameaux dans l'oasis voisine;  les hommes, profitant  de  la nuit, creusèrent des tranchées à 100m du poste,  dissimulés derrière un mouvement de terrain.
Pleins de leur foi religieuse, les fanatiques, sûrs du succès, s'imaginaient qu'ils tueraient aisément nos hommes, le matin venu, lorsque  ceux-ci  se rendraient  à l'abreuvoir! C'était ainsi qu'ils pensaient et qu'ils parlaient, car,dans la nuit,  s'adressant aux blancs du poste, ils leur feraient à peu près ce langage:   "Kelps de Nasarras  (chiens de chrétiens)  demain matin,  vous n'aurez plus l'eau du puits et vous mourrez tous" Ces paroles étaient fort bien entendues du poste où, naturellement, la petite garnison avait pris ses postes du combat. Aussi,  aux premières clartés du jour, les feux de salve  de la face  qui regardait les tranchées (coté Est) tombèrent drus sur les assaillants.
Ceux-ci  répondirent  et leurs balles (fusils Remington avec balles qu'ils avaient mâchées) pleuvaient sur le poste et surtout sur la  "Zaouia": (construction en briques au milieu du poste, qui était autrefois leur collège religieux)  L'unique pièce. du poste tira aussi mais elle ne put utiliser que deux obus: les gargousses étant toutes inutilisables!  Une partie de la garnison sortit donc,  Capitaine FOUQUE  en  tête, et  tomba sur les  tranchées. Ce fut une belle fusillade, paraît-il,  pris en enfilade,  d'une extrémité de la tranchée,  tous ceux qui y étaient blottis y restèrent. Aucun d'ailleurs ne cherchait à en  sortit tantle fanatisme les rendait fort. La baïonnette les acheva et dans cette lutte rapprochée,  le  Capitaine FOUQUE fut blessé de 4 coups de sabre  (3 à la tête,  1 au  cou),  le lieutenant BROUCHER,  légèrement blessé  par une balle  qui  lui effleura le  cou. Le  peloton de spahis entra en action  et poursuivit ceux qui,  demeurés dans  1'oasis, fuyaient avec les chameaux. Des chameaux et tous les fusils et munitions tombèrent entra nos mains. 164 noirs comblaient les tranchées qui devinrent leurs fosses, 5 grands chefs furent tués aussi dont le principall AB0U-AGUILA (ce dernier était, m'a-t-on dit, aussi blanc qu'un Européen), Les Ouled-Slimans, Kindis et... autres sont d'ailleurs tous ainsi presque aussi blancs que nous.
                                                                       
Dans les deux combats, l'ennemi eût environ 250 tués., ....   ,
De notre côté, 2 officiers blessés, 17 tirailleurs tués,une vingtaine blessés (spahis et tirailleurs). Les blessures occasionnées par les balles sont assez graves. J'en ai jugé en voyant les blessés. Cela tient à ce qu'elles.avaient été mâchées par les tireurs, (imitation Dum Dum).