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Janvier 1904

Non, franchement, lavie à l'Escadron sou un tel commandement a bien peu de charmes.
Après les 52 jours de colonne, l'instruction reprenait son train, inutile ici 3 jours après la rentrée à N'Gouri. 
Le 3 janvier, j'ai  eu de la joie; le Capitaine Commandant a  quitté N'Gouri pour aller régler certaines questions administratives à Fort Lamy,  II m'a laissé le commandement de la Portion Princpale. J'ai donc goûté pendant l'absence du sultan 24 jours heureux. Le service et la marche régulière du travail n'en n'ont pas moins été assurés, mais j'ai eu la paix, ne voyant plus le Capitaine qui (me rappelant l'irrascible adjudant de   semaine  du Quartier) est toujours derrière sa case ou derrière l'écurie pour chiper l'occasion de trouver ses subordonnés en défaut.
Rien de plus agaçant, sous ce climat surtout, que de voir jouer ce rôle  à un Capitaine Commandant  et  d'être  deux à supporter la pièce: le chef PLOUCHART et moi, qui assurons ici tout le  service et l'instruction. Les gradés indigènes sont  totalement incapables et d'ailleurs toujours sauvés parle Capitaine.
Pendant le séjour du Capitaine à Fort Lamy,  nous avons eu la visite du Docteur ALAIN, médecin Colonial à 3 galons, qui a passé quelques jours avec nous:   charmant homme tout à fait.  Il a passé la revue de santé  du personnel, hommes et  femmes du poste.

Mesure  de toute nécessité qui a occasionné presque une mutinerie chez nos spahis Àrabes, pas contents que leurs femmes soient visitées- A remarquer qu'un bon tiers de l' effectif a été déclaré contaminé, de nombreux syphilitiques parmi eux et parmi les femmes. J'ai dû faire un rapport à mon Capitaine Commandant au sujet de cette mutinerie et les quelques meneurs au nombre de 5 ont  été d'ailleurs rayés des contrôles  pour indiscipline . Il y a aussi de bien sales têtes parmi ces nègres. Cette mesure exemplaire servira de leçon, je pense; il est permis au commandement d' être sévère maintenant car les spahis reçoivent depuis plusieurs mois déjà un acompte sur leur solde tandis qu'auparavant, ils n' étaient pas payés, faute d'argent, alorsil fallait laisser faire?
Une épidémie de petite vérole a sévi chez les Ôuadaïèns de BÂDJOUR que l'on a relégués près de Mao. Le Docteur ALAN a été les voîr, une quarantaine sont atteints, une dizaine sont morts. Tous l'auront, car ces gens-là ne sont pas vaccinés.  On les tient isolés, car ce serait terrible si nos spahis et leur famille allaient être atteints.
La température a sensiblement baissé en Janvier, les nuits et les matinées sont froides.

Dans l'après-midi même, il ne  fait pas chaud. A Alali,dans l'oasis,   il y a eu  -3°  (en 1903 -1) Quand nous nous rendons sur les carrés le matin à 6h 1/2 avec PLOUCHART,  nous maugréons sérieusement d'être obligés de se sortir de  la paille  à une telle heure et par un froid pareil - au centre 'de  l'Afrique  - pour y faire faire des voltiges et des doublez  à des nègres.
Le réveillon a été assez gai, mais la fête manquait de liquides. Le chef PLOUCHART a égayé en nous faisant entendre sa belle voix. Quant au 1° Janvier, triste journée quand on ne peut donner à ceux que l'on aime les baisers du Nouvel An. J'ai été assailli par mes spahis qui savent fort bien que c'est un jour de fête et qui, sans se gêner, viennent me demander "P'tit cadeau"; Que leur donner dans un tel pays? Je n'ai plus rien dans mes cantines. Je les ai contentés tout de même avec un peu de tafia. A noter aussi la visite du Commissaire Administratif, M. SABATIER, un marseillais, donc un compatriote.   II a passe au poste et à l'Escadron sa revue de comptabilité et va résider dorénavant à la Capitale, à Fort Lamy. Son arrivée dans le territoire n'a pas pour effet, d'ailleurs de nous faire voir la couleur de la "galette". Les thalers font toujours défaut, les arriérés de solde aux spahis comme à tous les. militaires de la colonie ne peuvent être payés. De même pour nous, Européens,  nous ne pouvons, percevoir que 10 thalers par mois (30f). Le Commissaire nous apprend cependant qu'un Trésorier-Payeur réside à Port-Archambault, qu'il y a une caisse de 100.000 thalers, mais qu'il n'a pas le  droit d'en disposer,faute d'ordonnateur, je crois !

Charmante Administration ! Et ce bon fonctionnaire, qui n'a rien à faire, émarge au budget pour:  10 ou 15,000 frs par an. C'est à n'y rien comprendre; il existe une salade telle dans l'organisation de cette colonie, dans le commandement qui n'est jamais stable et qui  siège à 3 mois d'ici, - à Libreville  - une telle  insouciance chez le personnel des Services administratif que rien ne marche. Bref, cet état de choses peu compréhensible est préjudiciable aux intérêts de la colonie, à sa sûreté (au point de vue de ça que l'on promet toujours et qu'on ne donne rien aux troupes), aux intérêts de chacun et il est la cause  première qui amène tout le monde à s'en foutre  et à dire tout haut qu'on est dégoûté et  qu'on en a assez.  Tel est le cri de tous ici.
En outre, nous sommes privés de sucre, de  café depuis quelque-temps.-nous l'avons été de vin: -la ration n'accorde plus le riz gratuitement, l'huile a pour ainsi dire  toujours manqué.C'est une façon de nous ravitailler, au territoire militaire qui n'est pas banale et qui permet de faire des économies sur nos estomacs.
Avec cela, pas d'étoffe dans les magasins du Service Local,nous n'avons plus rien à nous fiche sur le dos. Ce que j'ai apporté de France est deux fois usé; il faut m'habiller à la bougnoul avec des étoffes  très chères et mauvaises, achetées aux noirs du Bornou qui les tiennent des Anglais. Si pourtant les magasins du Service- Local possédaient et vendaient des étoffes aux militaires Européens et indigènes,  le budget du Local trouverai là une excellente et intarissable source de revenus,les 2/3 de la solde payée aux troupes reviendraient au budget. Pourquoi ne fait-on pas ainsi?-Pourquoi les magasins sont-ils  vides?

Pourquoi aussi le ravitaillement se fait-il mal et  fait-il défaut? Pourquoi tant de questions à poser et qui ne se résolvent pas? Je  constate de visu, mais je ne puis pas, dans mon humble  sphère répondre à tous ces pourquoi.
Au Kanem Nord, dans le  poste de Mao,  dont le Capitaine FOUQUE commande le  cercle,  la situation politique n'est pas brillante. L'année 1903 a été marquée par la défection des Miaissas  (la dissidence  continue des Ouled Sliman),  tribu soumise en 1902. De nombreux dissidents parcourent cette région impunément, enlèvent même nos chameaux, font  rezzous de ci, de là, mais ne sont jamais inquiétés. Plusieurs sorties  ont  été tentées, mais  chaque fois, -chou blanc- . Vers Koual, à l'Est, on ne trouve jamais les Oulad Sliman; vers le "Tchetati", à l'ouest, on n'atteint pas les Dogordas. Le Lieutenant BOURET, qui  commande à Mao le 4° peloton de l'Escadron m'écrit qu'il est navré de ne jamais réussir dans les sorties qu'ordonne le Capitaine FOUQUE et ne se cache pas, d'ailleurs d'attribuer l' insuccès de ces opérations à ce Capitaine qui a des façons à lui de faire marcher la cavale
rie. Ces jours-ci encore, des tirailleurs, des Spahis, le"Capitaine FOUQUE et BOURET se rendaient au  Tchad pour s'y rencontrer avec le capitaine Moll, tué par la suite comme ...
 chef de la Mission de délimitation, et quelques blancs  de ZInder; mais arrivés à Kologo, le Capitaine FOUQUE voulut rentrer à Alali au lieu de pousser à N'Guigni,sur la rive gauche opposée du Tchad où les Français devaient sûrement se trouver. BOOURET en fût bien fâché !

C'est lui qui me donne tous.ces tuyaux .
Le Cheik, vieux chef, a été tué par les siens. Traqué par ses gens, les Miaïssas pour le  partage de ses biens  (le vieux brigand  était riche)  il n'avait rien voulu donner et avait menacé de revenir aux français. Ça lui a coûté la vie. Vers Zinder, une soumission importante a eu lieu, il y a quelques mois, les Touaregs, Kindis paient l'impôt dans ce territoire.  Un nouveau poste a été établi à .Mihr, près Zinder,  pour servir de liaison avec le Tchad. De notre côté, un poste est établi à Kologo_ (rive orientale du lac); - quand un poste sera créé à N'Guigni   (rive occidentale du lac), nous serons encore plus rapprochés de Mihr et par suite mieux reliés au  3° Territoire.
Le commandement du Kanem doit passer en d'autres mains:  le Capitaine FOUQUE ayant terminé  son séjour  (comme moi d'ailleurs), un nouveau Capitaine est toujours attendu.  Le Capitaine COLONNA devait venir, mais un ordre supérieur du Ministre, je crois, tout à fait inattendu, rappelle cet officier à la cote.  
 L'- interprète BAUDIN de Mao vient aussi nous voir en Janvier; lui aussi, attend avec Impatience son successeur; il s'est embarqué de France un mois avant moi, en  mars  1902. Très gai, c'est un bon camarade, il est venu à N'Gouri  chercher une femme. Mao est dépourvu de cette marohandise, dit-il; il en voulait aussi une pour BOURET, mais ce pauvre BAUDIN a dû retourner bredouille.  Je l'ai recommandé  chaudement pourtant  à mes amies et connaissances de N'Gouri, je me suis multiplié pour lui trouver une concubine potable. Mais, soit que ces dames ne lui plaisaient pas ou qu'elles ne veuillent pas aller à Mao et quoique interprète, par conséquent arabisant, ce bon BAUDIN n'a pu se marier à N'Gouri.
Il nous a quitté, furieux: Voilà que les négresses deviennent difficiles et se permettent de désobéir aux blancs, où allons-nous? - Allah! avec la civilisation. Plus de respect pour les Naçarras. II est de fait que les noirs sont bien plus craints par leurs femmes que nous le sommes nous autres Blancs;  c'est ainsi qu'une femme ne  s'approche jamais d'un indigène pour lui remettre quelque chose sans se mettre à genoux, elles ne prennent pas cette position là avec nous. Nous ne l'exigeons pas, c'est certain. Et puis l'Arabe  qui n'est pas content de  sa moitié, frappe à tour de bras sur celle-ci;  il y a dressage en règle dans ces cases où 2 ou 3 femmes ont un seul maître.
Dans le camp,  on entend souvent des cris jetés par la femme battue;  celle-ci crie plus fort pour être  entendue par le Blanc qu'elle  sait prendre sa défense. Nous intervenons parfois pour le bon ordre, mais il est impossible de faire comprendre à ces Arabes, Bandas et même Sénégalais,  qu'ils font mal de maltraiter leurs femmes.  Pour eux, leur  femme  est leur chose,  leur esclave, la cuisinière; chez peu d'entre eux, l'affection fait place à l'indifférence, à la brutalité. Il y a pourtant quelques exceptions de ménages bien unis.
Février 1904  Janvier et Février nous ont donné au Kanem de bien vilaines journées de tempêtes de sable, souvent tout le ciel est obscurci par des nuages de sables près de terre, soulevés par des vents violents de l'Est, A signaler pourtant  que  si le vent dominant vient du Nord-Est, il arrive aussi parfois qu'un vent très fort souffle de l'Est , du Nord-Est et de l'Ouest, même en hivernage.
Bref,ce sont, ces jours-là, des heures bien désagréables à passer. Les nuits sont encore bien froides en Février,  je n'ai que deux minces couvertures: elles ne suffisent pas à me réchauffer & toujours les hurlements des fauves dans  l'oasis voisine, hyènes et panthères surtout,  font un vacarme infernal toutes les nuits; le lion a fait aussi son apparition: des tirailleurs l'ont vu un matin de très bonne heurer, rodant près du jardin .BUREAU, le lieutenant du poste, a suivi ses traces sur 4 kilom, mais n'a pu rejoindre le lion; la popotte est meilleure depuis quelque temps,  en dépit du manque de vivres en magasin, car le jardin donne des tomates et des aubergines, mais ces fruits viennent tout petit; au-contraire, le jardin de Bol, poste à 4 jours de marche de N'Gouri, aux bords du Tchad,  donne des légumes superbes:  aubergines, courges, choux sont de toute beauté. M. ARDELET, lieutenant du poste, ayant deslégumes à profusion, nous en envoie  souvent. Bir Alali a aussi un jardin magnifique dans l'oasis,  sous la direction du Lieutenant POUPARD), mais c'est encore Bol qui a le plus beau potager du territoire. Ces    2 officiers de Marsouins, ARDELET & POUPARD obtiendront, je pense, le Merite agricole.
Nous mangeons aussi de la salade, malheureusement sans huile,, c'est-à-dire que nous employons l'huile de nos boîtes à sardines ou de thons.
A Mondo, à 25 kilom d N'Gouri, le détachement des spahis n'existe plus, les tirailleurs y sont revenus au nombre de 10, sous les ordres d'un sergent Européen,  il y a eu cas jours-ci une escarmouche avec quelques Krédas; le sergent Indigène a été blessé par une sagaie; 2 tirailleurs Bandais ont fui devant l'ennemi, abandonnant leurs fusils. Ces 2 lâches ont  été rattrapés et envoyés à Fort Lamy sous bonne escorte.
Le Commandant des Troùpes s'est contenté de rayer ces 2 sales nègres des contrôles et de les envoyer pendant deux ans au territoire civil pour y faire des routes. A mon humble avis, quelques balles dans la peau de ces lâches brutes auraient été bien placées.
La mission LENFANT a quitté Fort Lamy dans les premiers jours de Janvier, rentrant par la même voie, celle du Logone. Le Maréchal des logis de Cavalerie LAHURE, consulté pour savoir s'il voulait rester à l'Escadron a refusé !  Il est donc reparti  et de ce fait,  l'Escadron manquera de sous-officiers,  car le remplaçant de CORNUT devait être LAHURE.
Le chaland de la mission a été vendu à la flottille du Tchad pour 8.000 francs.  C'est une bonne acquisition car ce  chaland sera très utile pour le ravitaillement; il vogue actuellement dans les eaux du lac avec M. l'Enseigne de Vaie&eau ARDOUIN,   qui va au-devant du Capitaine MOLLE.
J'apprends par des camarades qui sont  sur le chemin de France qu'un Maréchal des Logis  (COQUELIN)  était à Bangui en Décembre dernier.  Ce sous-officier est destiné à me remplacer à l'Escadron. Il vient avec le Commandant MOREL lequel doit remplacer le
Commandant LARGEAU.
Je puis attendre encore Jusqu'à fin Février pour voir apparaître ce Maréchal des Logis.
CORNUT ne l'a pas encore rencontré;  il m'écrit de Fort Archambault qu'il n'a rien vu.       
20 février.  - A la fin Février,  arrive encore une grande nouvelle.  c'est encore un ordre de mobilisation, il paraît que le Ouadaï s'agite de nouveau: Doud MOURRAH aurait donc mal accueilli ses adjaouids qui ont accepté une entrevue en Novembre dernier avec les Français.

Très mécontent ce sultan; au lieu de répondre au message de paix du Commandant, il ordonnait , disent les bruits parvenus à Yao, au Lieutenant LEBAS un mouvement offensif  sur le Fitri.
Toujours la même histoire quoi !- Il est continuellement question des Ouadaïens marchant sur le Fitri et, en vérité, ils ne se risquent jamais à venir nous y attaquer; Je prévois encore une mobilisation  qui n'aura pas de suite  et j'en serai quitte pour un retard d'un mois ou deux dans mon départ si nous allons encore jusqu'à Yao.  Ce qui prête à rire, avec le fait actuel,c'est un entrefilet paru dans les journaux d'Octobre  (que nous lisons ici ces jours-ci)  et qui annonce que le sultan du Ouadai a accepté le protectorat français et  qu'une colonne sous les ordres du Colonel DESTENAVE marche  sur Abéché.
Le Colonel DESTENAVE est en France depuis fin 1902. Les bruits  venus du Ouadai amènent ici une mobilisation,  tout est donc loin du protectorat français établi à Abéché!  Les journaux publient bien souvent des choses extraordinaires qui n'ont pas même une ombre de vérité...    
Le 4° Peloton de Alali avec le lieutenant BOURET doit nous rejoindre à N'Gouri.  II a été prévenu d'urgence.
28 Février.  - Le 22 courant,  l'Escadron mobilisé avec 3 pelotons,  quitte N'Gouri ainsi qu'une section de 20 tirailleurs. Nous avons 28 chameaux et  un mois de vivres  ( sans vin, ni sucre, ni café etc...)
Heureusement que nous sommes alignés quelques jours en tafia.
Nous arrivons à Massakory le 25 et nous arrêtons dans ce poste en attendant de nouveaux ordres du Commandant. Le Trompette SEVAT est avec nous, mais  il nous quitte le 27, il est rapatrié pour raison de santé .  II emmène à Fort Lamy mes bagages car je compte bien ne pas retourner à N'Gouri. J'ai  fait mes adieux à ma femme en  second,  une Kindi Touareg à laquelle je  laisse un pagne et deux thalers comme gage d'adieu; Fatmé, ma première, va à Fort Lamy où je la reverrai à mon départ. C'est la favorite !
Je ne suis pas du tout fixé sur mon départ: le Capitaine, qui croit toujours aller à Abéché, ne veut pas me renvoyer, même à l'arrivée de mon remplaçant; fort heureusement qu'il demande des ordres à mon sujet au Commandant et que je pense que cet officier supérieur l'autorisera à me mettre en route. Je désire ardemment ficher mon camp et j'ai fait plus que mon séjour et,comme je  sais que nous n'irons pas au Ouadai, je n'ai plus d'interêt à rester à la colonie,
Le 4 Mars arrive à Massakory le sergent TEXIER. Il nous confirme ledemi-tour du Commandant MOREL, rappelé à la cote par ordre Ministériel. Cet officier supérieur était venu de sa propre autorité,  remplacer au Tchad le Commandant LARGEAU.De ce coup-là,  le  Commandant LARGEAU va faire ici quelques mois de plus. TEXIER m'apprend que COQUELIN,  le MArechal des Logis qui doit me  remplacer est à Fort Lamy.
Détail navrant:  TEXÏER a vu dans les postes de Gribingui et de Fort Archambault, du ravitaillement,  savoir des quantités de caisses de vin,, et le Kanem manque de ce précieux liquide; Ah c'est bien là l'activité de M.M.  les fonctionnaires du Territoire  Civil.
Il va sans dire que quoique l'Escadron soit mobilisé, le Capitaine Commandant trouve à occuper notre temps et que, à Massa-kory,  il m'a fallu chercher un terrain propre  à la manoeuvre. En outre, le Capitaine m'a chargé de  l'instruction des recrues,               
spahis sénégalais qui étaient restés détachés dans ce poste. Matin et soir, je suis pris par le tableau de travail,  soit avec les bleus,  soit avec mon peloton, lorsqu'il y a travail des anciens, car notre cher Capitaine n'a pas manqué l'occasion de trouver trois pelotons réunis pour nous faire faire de l'Ecole d'Escadron avec 36 à 40 spahis montés.
C'est à se croire dans une garnison de  l'est. BOURET, colonial celui-là, ne s'attendait pas à pareille chose et m'a dit que le Capitaine ne sait pas commander à une troupe indigène. C'est aussi mon avis depuis longtemps.. BOUTET s'inquiète pour ses chevaux, lesquels, je le reconnais, sont bien meilleurs que ceux des 2° et  3° pelotons, car il sait les ménager et en est le seul maître, étant détaché; il s'étonne que le Capitaine prépare de la sorte ses chevaux aux fatigues qu'on va être obligé de leur demander si nous marchons au Ouadaî, maiS- rien à dire,  le Capitaine DURAND sait tout, connaît tout et a de  1'expérience. Où l'aurait-il acquise? Il n'a jamais eu le coanandsment  d'une troupe,   ayant  passé une dizaine d'années,  même 15 dans les bureaux arabes,  où il n'a
même pas appris à parler à des nègres, à en juger par les layus ronflants qu'il fait parfois à nos spahis - lesquels n'ont jamais rien compris. En tout  cas, ce n'est cas son Ecole que je suivrai dans ma carrière d'Officier.Et je ne suis pas le  seul, MM. BOURET & LEBAS, deux Lieutenants anciens, ayant de la valeur, le désapprouvent, totalement dans sa manière de commander. Actuellement, nos ressources en chevaux sont maigres: le peloton de Alali est le mieux monté, les pelotons de N'Gouri auraient besoin d'une quinzaine de bons chevaux
pour remplacer de bons chevaux de 12 ans qui sont usés,  finis à cet âge-là dans ces pays,  surtout après le travail qu'ils ont fourni à l'Escadron depuis trois ans. Le peloton du Fitri ne trouve plus à se  remonter, plusieurs de ses chevaux meurent atteints par une  paralysie de l' arrière-train; LEBAS insiste auprès du Capitaine pour qu'il lui envoie cinq chevaux, mais le Capitaine ne peut lui faire ce cadeau. Au Kanem, depuis quelques mois les Kanembous ne nous en offrent plus, sauf lorsque le Cercle a quelques juments à échanger: Dans notre région, une sale épidémie  s' étend sur  nos ohevaux et nous les rend    ' indisponibles fort longtemps (2 et 3 mois). C'est de l'acnée. Le Vétérinaire manque de médicaments. MAIRE nomme cette épidémie "la botrifomicose" ; ce sont des boutons qui siègent le plus souvent à l'encolure, formant cordon et aussi sur tout le corps et qui forment plaies et d'où coule un pus épais,  très contagieux, les chevaux atteints sont isolés. Quant à la maladie, occasionnée par la piqûre de la "tsé tsé", elle n'est pas à craindre au Kanem, la mouche n'y existe pas. Nos chevaux du Tchad, achetés l'année derniere à Madou n'ont pas rendu de bons  services et ont dû être à peu près tous réformés.
La taille moyenne du cheval est  ici de 1m40 à 1,45 en général, bien conformés, bonne poitrine, mais beauooup sont panards  (défaut qui  provient  surtout de  ce que les chevaux sont attachés ici aux pieds par une entrave). Ils n'ont pas de bien belles allures mais ont un bon pas. C'est d'ailleurs la seule allure employée dans toutes les étapes, les pistes du pays n'étant que de sable et le cheval étant  très chargé;  le harnachement est la selle Lefebvre, selle légère et bonne, mais je crois que la selle d'Algérie (des spahis) conviendrait mieux- la difficulté dans le pays étant de réparer les harnachements français. La selle a des sacoches et des bissacs, mais outre cela, le spahi amarre à la selle l'entrave et le piquet, une musette de mil  (2 ou 4k), le burnous  (quand il en à un},  la marmite  de campement et d'autres objets: hache,  etc.,..Pas de ferrure,  les chevaux ne sont pas ferrés,  on se  contente de leur parer les sabots.  La ration du cheval se compose de 4- kilos de mil et de paille que les boys vont  couper journellement dans la brousse.  C'est un fourrage (graminées) -qui ne vaut pas cher, en saison des pluies, elle est meilleure, verte et riche en graines, mais pendant 8 mois de l'année, elle nourrit bien peu le cheval; dans les oasis, on trouve pendant plus longtemps une paille meilleure, grâce à l'humidité du sol. Les chevaux, chez l'habitant dans les villages, sont presque toujours logés dans des cases (la case commune au ménage) à l'Escadron, ils sont sous des hangars, Leurs robes sont celles des chevaux de France; on trouve aussi les mêmes particularités.-Il n'y a pas de mulets dans toute la colonie, mais les ânes- (tout petits)  sont nombreux. Un  Un cheval se paie de l00 fr jusqu'à 200 mais bien rarement il atteint ce  prix.  À l'Escadron nous les payons de  100 à 150.
II y a au Kanem  et  surtout au Tchad,  de  grands troupeaux de boeufs  (de boucherie,  porteurs,  vaches).  Un joli boeuf se vend de 10 à 15 thalers,  soit de  30 à 45 frs. Les boeufs du Tchad, sont remarquables par la beauté de  leurs  cornes  et  leur longueur (elles  se rejoignent  très haut en cercle).  Le boeuf du Kanem se remarque par la grosseur de  la bosse.
Le mouton existe aussi  en grande  quantité; sa viande  est de qualité très inférieure, pas à laine, tous à poils; il est haut, sur de hautes pattes, mais jamais ni beau ni gras, la chèvre donne peu de lait. On a deux moutons pour un thaler- (3 fr«). Dans  tous les Villages du  Kanem, on trouve également des poules. Pas de canards, ni de lapins, ni autres volailles à l'état  domestique .
Mars  1904. - COQUELIN est enfin arrivé;  c'est le Maréchal des Logis destiné à me remplacer à l'Escadron.  II vient du 6« Chasseurs. Bmbarqué à Bordeaux le 15 8bre 03, il est arrivé au Kanem le 5 Mars 1904. Il apporte un pli du Commandant avec ordre de me mettre en route pour France. La situation au  Ouadaï ne donnant plus d'inquiétudes, le Commandant  renvoie à Mao le 4° peloton avec BOURET ainsi que le détachement de tirailleurs de N'Gouri. Seul, Le Capitaine Commandant et les 2° et 3° pelotons resteront à MHassa-kory jusqu'à nouvel ordre.Le Capitaine m'informe que je partirai dans quatre jours; pour passer mon peloton au Maréchal des Logis COQUELIN, c'est un peu excessif.  Ce sous-officier apporte au Capitaine une bouteille de  Pernod de la part d'un adminîstrateur du Territoire Civil.  Inutile de dire qu'elle fut la bienvenue et qu'elle fut vite Vidée par le Cadre Européen de l'Escadron. En Février, j'avais reçu également une bouteille de Pernod à N'Gouri -expédiée de Lyon par mon frère JOSEPH- en Mai 1903.  Sa vie fut aussi de courte durée mais elle nous fit reconnaître les douceura d'un apéritif du sol national.  Je  reçus en même temps trois colis postaux que m'envoyait mon frère 2 intacts, mais  celui qui renfermait le  Pernod avait  été ouvert et voici ce qu'une main malhonnête avait fait:   - le café annoncé avait disparu  (d'autant  plus grave que nous manquons de café depuis quelque temps ici;  la bouteille  de Pernod était recouverte d'une  capsule dorée  de bouteille de  Champagne marque Richier  et le délinquant  s'était offert deux apéritifs environ; la bouteille rebouchée et enrichie d'une capsule dorée au lieu d'une argentée,  C'est ce qui s'appelle se foutre du monde. c'est ainsi dans cette colonie.