Je fais aujourd'hui mes adieux
7 Mars: - Je fais aujourd'hui mes adieux à BOURET qui repart avec son peloton.
9 Mars. - Ma consigne passée à COQUELIN et après avoir monté à cheval ce matin encore,à la manoeuvre, sur l'invitation du Capitaine Commandant qui n'ignore pas que j'aurai cette nuit une étape de 80 km, je me prépare à partir tantôt, Mon boy part ce matin avec un boeuf porteur de mes vivres et ce qui me reste de bagages ainsi que deux tonnelets d'eau car de Massakory à Massaguette, soit 80 km, il n'y a pas un seul puit et les mares sont actuellement desséchées. Je partirai pour franchir sans arrêt cette dure étape ce soir vers 5 heures afin de marcher toute la nuit pour moins souffrir de la chaleur et arriver vers 10h à Massàguette le lendemain matîn.
10 Mars. - Une bonne corvée de moins; voilà l'étape achevée sans trop de fatigues. Après avoir fait mes adieux aux spahis et accompagné pendant quelque temps par le Capitaine, MAIRE et PLOUCHARD, en route le coeur léger, la pensée déjà toute entière vers la France, ce qui est loin pourtant et que je ne reverrai que dans cinq mois, je suis parti sans regrets, disant à ceux que je laisse, mais qui sont venus ici après moi: "Au revoir, en France",
Mon ordonnance m'accompagne jusqu'à Fort Lamy. A 40km de Massakory, cette nuit, je me suis arrêté pour prendre deux heures de repos; j'avais rejoint mon boy et les boeufs et tous nous sommes reposés. J'étais à DJIODOL, point inhabité où fût creusé un puits par le Commandant TÊTARD. Il était 9h 1/2 du matin quand j'entrais à Massaguette ; -J'y déjeunai de bon appétit de quelques oeufs, d'un poulet et d'un bidon d'eau bien fraîche. Mon cheval bût avidemment et mangea sans se faire prier 6k de mil et de la bonne herbe verte qui tapisse un bahr desséché où sont creusés plusieurs puits à l'entrée de Massaguette. L'eau est potable; Une grande case est construite ici pour passagers- Village arabe;
De Massakory à Massaguette, la piste est bien tracée, car elle est suivie par de nombreux et continuels convois, c'est le point de passage de tout ce qui-va et vient du Chari au Kanem et vice-versa. Le terrain est plat, assez boisé. A la sortie de MassaKory, pendant plusieurs heures, le terrain est rempli de l'arbuste à poison si conmun au Tchad (espèce d'euphorbe, je crois); les indigènes le nomment "oursar"; ils servent du lait que donne le fruit, aussi gros qu'un coing, de cet arbuste pour empoisonner sagaies et flèches.
Reposé un peu dans l'après-midi, je ne passe pas la nuit ici, je repars le même jour à 6h du soir après avoir mangé.
11 Mars. - De Massaguette à DJedad, 35km de terrain plat, boisé, emplacement de mares, à sec en cette saison, A l'entrée du village: grand bahr où sont les puits appelés "Soulkeil", Village arabe, pauvre, pas de mil cette année, les habitants se nourrissent du fruit "adjelidj" à noyau, gros comme une prune allongée, qu'ils
écrasent dans du lait, font ainsi une sorte de compote.. Pas délicieux du tout, j'y ai goûté, c'est très amer. J'ai marché direction générale S-0 et j'ai bivouaqué 4 heures pendant la nuit. Je ne coucherai pas à Djedad, arrivé le matin à 9h, je vais donc dormir jusqu'à 2h et je partirai de suite.
Je viens d'arriver à GÀOUI à 7h du soir (18km} où je vais coucher. Village important, entouré d'un "tata" ou mur, en terre. Cases bien faites en terre pétrie, race Kotokoo, habiles pêcheurs, A 10 km de Djedad, j'ai passé le bahr Medba, peu d'eau.
Près de là, je tire quelques buffles (Kattenbours), j'en blesse un sans pouvoir l'atteindre, mon ordonnance ABDURJAL fouille la brousse en vain, il revient avec le grand, regret de voir se perdre ainsi de nombreux kilogrs de viande, Gaoui est à 8km du bahr Medba. Le chef du village m'apporte du miel et des oeufs, mon boy ALI trouve qu'il m'apporte bien peu de miel et il est heureux de me conter qu'il y a 4 ou 5 ans au bon temps du redoutable RABAH - il vint à ce même village de Gaoui, en vainqueur... et qu'il prenait dans les cases de grandes jarres de miel; il me montra la même petite place que j'occupe sous l'arbre de laquelle je suis et me dit: "là ,vois-tu, il y en avait beaucoup la viande et beaucoup le miel".
Certes, ceux qui suivaient PABAH ont connu d'heureux jours, car le pillage était la loi, mais avant d'être admîs guerrier de ce chef sous sa bannière, on avait souffert des l'horreurs de sa guerre, on avait été enlevé aux siens, on était devenu sqn esclave et puis, sans espoir de fuir et ne sachant plus où aller, le vaincu demeurait et entrait dans les rangs de l'armée de RABAH. (RABI, comme il est appelé par les nègres). C'est ainsi que ce hardi guerrier traînait derrière lui des bandes hétérogènes formées de Bandas, de Saras, da Baghirmiens, de Bornouans, de Kotokos, d'Arabes, de toutes les populations qu'il avait razziées et vaincues depuis le Gribingui jusqu'au Tchad. Mon boy, qui ne connaît ni son village, ni sa famille - fut enlevé tout enfant, et a suivi RABAH jusqu'au jour où ce dernier fut tué par les Français auprès de Kousseri - Le combat de GOUDJBA où fut tué le fils da RABAH, FAD-el- ALLAH, marque la chute de l'empire de RABAH. Les Rabistes passèrent aux Français et furent rendus libres. Depuis ce jour, Ali est resté avec les blancs, avec l'Escadron de spahis. II est très heureux de son nouveau sort, mais constate parfois que sous RABAH, quand on arrivait dans un village, on se nourrissait bien mais, qu'avec les Français, on demande trop peu à l'habitant ..Cette différence, seule, lui est sensible; il aurait voulu, ce soir, par exemple, que le chef de Gaoui ne m'apportât pas qu'une petite calebasse de son miel, mais bien une grande jarre, parce que sa part eut été plus grande. Oh ! que le noir est vorace. Très tard dans la soirée, à Gaoui, je ne pus dormir parce que, à coté d'une case voisine, un groupe d'hommes et d'enfants, réunis autour d'un feu, autant pour les éclairer que pour les chauffer, chantaient les prières à Allah; que 2 ou 3 d'entre eux, les "lettrés" ou "fakis" lisaient à haute voi sur leurs planchettes de forme rectangulaire; c'est leur livre de messe. Ce concert dura plusieurs heures et finissait par m'agacer; ces rossards de Musulmans ne fichent rien dans la journée et n'ont pas sommeil; aussi quand ils se mettent à chanter leurs prières, ils ne s'arrêtent plus. Je me levai pour les inviter à se taire pour tâcher de leur prouver que Allah était satisfait pour ce soir, mais mon arrivée auprès de leur feu ne les inquiéta pas et ne fit que les faire gueuler plus fort dans le but certain de chasser le mauvais esprit que j'amenais auprès d'eux, moi, sale chrétien "roumi". Il y avait dans ce groupe de brutes, une toute petite fille, si jeune et si mignonne, qui ouvrait sa petite bouche pour arriver à crier aussi fort que quelques gamins autour d'elle à tel point que ses yeux en étaient
rouges , elle répétait toujours la même phrase - n'en sachant pas plus long - le traditionnel "Laïla, ila la, Mohammed Rasout, Allah, etc., etc,,,, et jetait vite quelques brins de paille dans le feu dès que celui-ci n'éclairait plus le lecteur; le jeu de cette petite fille m'amusa et m'empêcha de rompre ,ce soir-là, le charme du tableau de famille et religieux... quoique d'allure sauyage, que j'avais devant les yeux. ..Au contraire, je passai plus d'une demi-heure à les écouter» , les regardant à tour de rôles, me disant combien était grande la foi religieuse chez ces brutes -là et quelle puissance a entre les mains un chef religieux dans ces pays-là. Je les appelle des brutes, c'est bien le mot qui leur convient car enfin il y a trop grande différence entre les actes de leur vie, leur sauvagerie habituelle, leur ignorance, leur paresse , leur saleté, leur amour du vol, leurs moeurs,.etc., et entre, leurs quelques moments de piété fervente et fanatique pour leur Dieu Allah ! A signaler que dans ce groupe, il n(y avait aucune femme. c'est toujours ainsi d'ailleurs, la femme ne prie pas ou très peu et dès qu'elle atteint l'âge de 10 ans environ, elle n'a plus place dans les réunions des mâles, tandis que les enfants garçons se glissent toujours à côté de leurs pères ou de leurs aînés.
12 Mars. - J'ai quitté Gaoui à 5h et j'ai rencontré quelques girafes qui n'ont pas attendu ma balle 88. Le chemin est très fréquenté, on sent l'approche de la capitale. J'ai traversé un grand village Togba, où le chef me remplit mon bidon de "mérissé". Bien avant d'arriver, je vois la colonne du monument au Commandant LAMY. J'entre à 8 heures à Fort Lamy (15km). Un de mes spahis en traitement vient aussitôt me saluer et m'apporte une brouma de bon mérissé. Je trouve Fort Lamy bien moins coquet, plus négligé, qu'au mois d'Avril dernier. Je trouve ma petite Fatmé, qui se met à pleurer quand je lui apprends que je pars demain. En effet, le Capitaine FAVART, Commandant le Cercle, me met en route avec l'Officier Interprète, BAUDET et l'adjudant COLAS le 13 avec une baleinière. Le trompette SEVAT qui m'attendait est parti le 11 avec un sergent malade. Un nouveau Capitaine, M. BAILLY est tout récemment arrivé ici, ainsi qu'un Docteur à 2 galons et 2 Sous-Lieutenants. Le Docteur me remet quelques médicaments de route. Je donne à Fatmé le boeuf que j'avais et une dizaine de Thalers.
13 Mars. - A lh, j'ai quitté Fort Lamy, monté dans une baleinière, (embarcation de 8 à 10m de long sur 2m de large) où nous sommes 3 et où sont entassés tous nos bagages et nos vivres de route. Nous en avons pour 30 jours. Un grand "schimbek" élevé au milieu de la baleinière nous abrite du soleil. Nous avons levé l'ancre, après avoir dit adieu à tous les blancs sur la berge et aussi à ma Fatmé. qui était couchée sur le sable et pleurait, non pour
son blanc perdu mais pour le bien-être et l'insouciance qu'elle avait connu pendant près de 2 ans avec moi. Je l'ai recommandée à un Sous-lieutenant, qui vient d'arriver qui la prendra ,je crois pour femme ; elle retrouvera ainsi son aisance perdue .
Notre pavillon tricolore flotte à l'avant, et 6 pagayeurs, comimandés par un "laptot" sénégalais manoeuvrent la baleinière. BAUDIN et moi avons pu placer notre chaise longue et COLAS s'allonge sur des caisses. Ainsi placés, il ne nous faut plus songer à bouger, la place manquE. Nous remontons le Chari; les eaux sont basses en Mars, les bancs de sable nombreux .et quoique l'embarcation cale 40 à 50c/m environ, nous avons déjà aujourd'hui raclé le sable plus d'une fois.
Ca n'ira pas vite ! que de sales journées allons-nous passer jusqu'à Gribingui? J'en frémis en y pensant : au moins 50 Jours à rester enfermés dans un tel panier où on ne peut se bouger à volonté.
Nous couchon ce soir au village riverain d KLESSEM. Les bancs de sable sont couverts d'ibis, de flamants, de tantales, de canards, etc. , de ces grands échassiers dont quelques-uns sont très beaux et munis d'un bec d'une longueur et forme extraordinaires. Nous sommes armés d'une carabine 74 et de 50 cartouches; n'ayant pas voulu toucher de conserves, nous avons des cartouches pour pourvoir à notre nourriture . COLAS a deux fusils de chasse et les munitions ne lui manquent pas, les caïmans et les hippopotames sont aussi de la fête et reçoivent nos coups de fusil sans trop s'inquiéter.
15 Mars. - Nous marchons sans trop d'encombre, sauf que les pagayeurs se mettent à l'eau assez souvent pour pousser la baleinière qui touche le sable. Nous marchons de 6h du matin à llh; nous nous arrêtons pour déjeuner jusqu'à lh, et nous terminons la marohe le soir à 6 heures; couchons sur les bancs de sable car les rives sont trop éloignées et trop fréquentées par les fauves; Les rives du Bornou Allemand, rive gauche, sont plus boisées que la rive française; le Chari atteint ces jours-ci de 3 à 400m de large..Aujourd'hui 15, nous avons déjeuné d'une ome1ette d'oeufs de caïmans;- BAUDIN n'en a pas voulu; sans la trouver excellente, j'en ai mangé tout de même une bonne part. Cet oeuf est très allongé, 3 fois plus gros que l'oeuf de la poule et a très peu de jaune. On les trouve dans le sable où les enfouissent les caïmans. Nous changeons les pagayeurs au village de IDED; c'est l'impôt des villages riverains de conduire les embarcations qui montent ou descendent le Chari. Les pagayeurs sont relevés à chaque village; certains travaillent une journée ou deux; d'autres, quelques heures seulement, suivant la distançe entre les villages. La rive allemande n'a pas de village, elle ne saurait d'ailleurs nous fournir des pagayeurs.
Les autorités allemandes ne perdent pas une occasion de se plaindra à Fort Lamy, lorsqu'elles apprennent que des Français ont mis les pieds sur la rive gauche. La surveillance de leur rive leur échappe, car ils n'ont que deux postes: celui de KOUSSERI, en amont de Fort Lamy et celui de GOULFEï en face le poste français de la rive droite (plus près de l'embouchure du Chari). Vers 4h aujourd'hui, nous avons croisé une pirogue montant un tirailleur escortant le Courriër de France. Nous tirons des singes qui sautent de branche en branche quand nous nous approchons des rives.
16 Mars. - Le 16, village HAMA, ,MALÂSSAMA, rive droite. De grands arbres porteurs d'un fruit que les noirs ne mangent pas -de forme bizarre, très allongée, comme une bouteille, d'un poids de 2k ,appelé "aque* en baghirmien. A'4h, rive gauche, village B0UGOMA, inhabité; ses habitants ont passé sur la rive 'droite, site français, appelé par leur sultan GÂOURANG qui est notre sujet. Ne pouvant plus aller sur le Bornou où il possédait des terres, GÂOURÀNG, grand sultan, très aimé du Commandant LARGEAU, fait ouvrir des
villages au Baghirmi à ses sujets de la rive gauche. Le village de Bougoma existe donc rive droite, mais ce n'est encore qu'un oamp provisoire. Les habitants se livrent à la pêche, font des filets avec de la corde faite d'écorces d'arbres et de lianes. Les femmes Baghiraniennes ont une coiffure très soignée; les cheveux sont dressés parallèlement d'égale grosseur, séparés sur le milieu de la'tête, car ces tressss ne descendent pas sur les épaules, elles sont arrêtées au-dessus du cou et si les cheveux sont longs, ils forment une autre tresse qui revient sur la tête. Des brins de paille, rigide, entrent dans la constitution de la tresse, les cheveux sont tressés sur la paille.
17 Mars. - Village MESKIN à 7h 1/2, rive allemande; inhabité, passé rive droite, même nom en face de l'ancien. A 10h 1/2 ce matin, bahr RHERGUIG, rive droite, coule sur TCHEKNA, à l'intérieur, un peu d'eau en toutes saisons.
Grâce aux conserves, BAUBIN en a une provision; moi j'en ai quelques-unes, mon boy ALI, qui nous fait la cuisine, nous prépare d'assez bons repas. Jusqu'à présent, nous ne nous privons pas, nous avons touché du vin à Fort Lamy {le magasin n'en manquait pas, comme au Kanem); nous n'avons pas touché ni de sucre, ni de café, mais COLAS en a une provision que lui a cédé la mission LENFANT.
Depuis quelques nuits, la panthère nous fait un ooncert, mais nous sommes bien tranquilles sur les bançs de sable, entourés d'eau de tous côtés.
18 Mars. - Nous sommes à MANDJAFFA, ce matin à 7h, poste, un sergent. Un village de Bandas, ex-Rabistes, est établi à côté du poste, séparé du village Baghirmien, car races différentes..
Je consacre mon dernier thaler ici.ayant trouvé une assez jolie petite amie qui m'enlève encore une glace ronde. Nous faisons faire quatre jours de pain et avec deux cabris, nous levons l'ancre le 19 à 6h. Passons devant le village ANJA, souvent ensablé, nous n'avons pas fait beaucoup de chemin.
20 Mars. - Un village rive allemande, rive droite ANCO, à 12km TIDEN. Nous déjeunons au village même, nous y achetons poulets et quelques oeufs. BAUDIN s'amuse à offrir du vinaigre aux nègres qui en boivent en nous disant que c'est excellent, malgré une grimace très apparente. Ils croient que nous avons du vinaigre dans notre bouteille de vin et se demandent certainement comment nous pouvons en boire ainsi un verre sans faire la grimace!
Ils sont plusieurs hommes autour de nous et ne se font pas prier pour passer leurs doigts dans les assiettes que nous leur passons pour qu*ils les nettoient. Celui qui tient l'assiette en a vite deux ou trois derrière lui qui trempent un doigt ou deux dans la sauçe.. Nous les épatons surtout avec les boîtes de conserves d'où nous sortons des haricots; ils se regardent avec stupéfaction. A 3h, village: GASA, à 6 heures BALINIERI; nous y passons une heure pour acheter quelques vivres, BAUDIN en profite pour faire accepter quelques galanteries à une négresse, au prix d'une bouteille vide. Je monte la garde, car quelques nègres tournent autour de la case avec des regards inquiets; quel métier ! c'est roulant ....
21 Mars. - Golè à 7h20', village assez éloigné de la rive droite du Chari, large de 1km à cet endroit. Les rives ne sont pas visibles de la baleinière, tous les îlots et bancs de sable cachent la vue. Ces derniers atteignent des hauteurs variant de 50cm à 3m audessus du niveau de l'eau actuel. Il arrive rarement que les pagayeurs ne trouvent pas le fond avec leur "tombo"; plus souvent cette perche ne s'enfonce que de 50 c/m environ, juste assez pour nous permettre de filer. Nous n'avons guère à lutter non plus contre le courant qui est faible et nous devons parcourir en moyenne 25km sur le fleuve, par jour, en naviguant environ 10 heures par Jour. A 10h ce matin, village de MONDO, rive droite. NouB déjeûnons sur la rive allemande à l'abri de grands arbres, magnifiques et avec le secours d'une excellente pintade, au riz qu'a tuée COLAS et que le popottier BAUDÏN, qui a des ta-
lents, fait savamment rendre dans le riz. A 5h ce soir, village de BENGALAMIE, éloigné de la rive droite.
22 Mars. - Le Chari décrit aujourd'hui de grandes courbes, la direction de la marche varie souvent, tantôt à Ouest, S-O, enfin Sud, qui est la bonne direction, quoique la France soit au Nord. Mais nous ferons du Nord plus tard.. A 12km, village rive droite, MENGAMIE-
23 Mars. - Nuit pénible presque sans sommeil sur banc de sable, infesté de moustiques qui nous ont dévorés. Je'n'ai pu tenir dans mon lit, ma moustiquaire était percée. Quelle nuit ! BAUDIN a souffert plus que moi, il n'avait pas encore sorti sa moustiquaire de ses bagages. C'est curieux de trouver tant de moustiques sur un banc de sable où il n'y a pas un brin d'herbe.
Le sergent de MANDJAFFA nous a fait rejoindre par un courrier à cheval qui nous a apporté hier soir quelques lettres, J'apprends que la mobilisation reprend, l'Escadron a quitté Dagana le 13 courant pour Moïto, les troupes se concnetrent dans le DECARIRE, un mouvement des Ouadaïens est encore signalé vers le Fitri.Il était temps que je file de Massakory le 9, car le Capitaine m'aurait bien gardé Or, je sais d'avance que oomme precédemment, c'est une simple manifestation de présence que nous allons faire au Fitri.
Ce qui est "chic", c'est que je recois un pantalon bleu que m'envoie MILLON, sergent-major; il va m'être utile pour la route et me permettra d'arriver à Brazzaville. Mieux encore, BAUDIN reçoit un petit paquet contenant des cigarettes Bastos que nous nous sommes empressés de griller pour chasser les moustiques. Mauvaise nouvelle, par exemple, qui nous apprend que 2 courriers de France ont pris un bain aux rapides de l'Oubanghi, Ah ! nos chères lettres !
A 11h, village rive française BOAÏ. Vers ce point, le Chari est peu large, très resserré, 50m environ. La rive droite est garnie de roniers, la rive gauche est beaucoup plus boisée, 24 Mars. Dormi tranquillement cette nuit. A 7h, GADANGA, rive droite. COLAS tue une antilope qui régale nos pagayeurs et nos boys et nous donne quelques biftecks et filets. A 3h, village de MAFFELING, grand village, peuplé, rive droite. Nous voulons dormir sur la rive, tant le coin est ravissant, mais nos pagayeurs ne veulent rien savoir et nous arrêtent sur le banc de sable, de crainte des fauves.
25 Mars. - La hyène seule a fait du potin cette nuit; quant aux hippos, ils ont grogné dans la soirée puis, voyant leur banc habité, ils ont pris le sage parti d'aller ailleurs. Car l'hîppo vit dans l'eau toute la journée, mais il en sort le soir, pour manger et se coucher, et y rentre ds très bonne heure le matin. carr on les surprend bien rarement hors de l'eau.
A 8h, rencontré un sergent d'Infanterie coloniale sur baleinière; il me remet une lettre de ce bon ALFRED ! qui en ce moment se trouve sur le grand Océan. Cette lettre est datée du 25/1 de Fort Crampel. A 9h, village LAFFANÂ, rive droite dont le chef est une f emme. J'y descends changer les pagayeurs et faire quelques emplettes: oeuf, poulets.. Je tombe dans un petit marché tenu devant la case de la sultane qui perçoit en ce moment l'impôt à ses marchandes,' prélevant de ci, de là, un peu de mil, du poisson, du beurre etc. Je lui fais mes hommages (sale nègresse du même calibre que les autres) et me met à me bavarder gaiement; elle est moins pressée que moi, il faut croire, je lui fais comprendre que je ne suis pas venu pour lui faire la cour mais pour lui recruter quelques hommes. Il y a moyen de s'entendre avec elle, car elle parle l'Arabe. C'est une dégourdie qui commande bien à ses sujets. Beaucoup de femmes felata au marché du village, horriblement sales, ce qui se voit mieux, parce que moins noires que les femmes du Baghirmi.
Elles vendent le laitage, beurre, dans des calebasses dégoûtantes, contre du mil. Elles sont là, assises par terre. Jeûnes et vieilles, ayant chacune un mioche au sein,le négrillon d'une saleté repoussante. Elles piaillent ensemble et se disputent. Leurs oreilles sont ornées de plusieurs anneaux de cuivre, quelques-unes en ont tout autour de l'oreille, percée d'une dizaine de trous.
A 1h, village MIRIOU, rige droite, A 3 heures, arrivée à BOUSSO, poste agrandi. Ici, nous persevons enfin du sucre et du café. Un roi nègre, KORBOL, est de passage aujourd'hui: se rendant à Fort- Lamy, il a 3 ou 4 grandes pirogues montant sa domesticité, tandis que lui est vautré sous une schimbek entouré de ses femmes. Il ne se doute pas que son règne est terminé. Le sergent de BOUSSO nous apprend qu'il est envoyé à Fort Lamy pour y être destitué.
C'est un vrai tyran pourses sujets. C'est un athlète, grand et fort. Un sergent sénégalais, Tirailleur est déserteur depuis quelques jours, s'étant laissé acheter par Korbol. Il a compris que celui-ci allait être coffré et il a filé avec son fusil 86 et ses 120 cartouches; îl ne pourra aller longtemps et loin dans cette région, car déjà l'autorité l'a signalé aux noirs pour qu'il soit pris.
Nous mangeons du poisson à Bousso, pêché au fusil 86 ! Du haut de la berge , le sergent tire sur le poisson qu'il voit fort bien à fleur d'eau et, quoique pas atteint, celui-ci est étourdi; un tirailleur est prêt aussitôt le coup parti pour saisir le poisson qui fait deux ou trois pirouettes. Pêche productive et facile.
Le chef-lieu du Cercle a été transporté à KELFI dans l'intérieur, où réside le Capitaine Commandant et la Compagnie de Tirailleurs. Le Courrier de France de Décembre est ici, mais Bousso n'ouvre pas (les sacs sont plombés) Hélas, des lettres sont là qui ne nous rejoindront qu'en France peut-être !
Avec 2m50 de cretonne bleue je gagne les faveurs de la noire HACHI. Doux nom ! On nous aligne en vivres jusqu'au 10 Avril. Colas veut faire le pain lui-même et ne fait qu'une sorte de galette brûlée, en voilà pour 5 jours ! quel maladroit !
26 Mars. - Départ de Bousso, à 2h 30' Singes énormes, Cinocéphales sur rives, auprès de Bousso.
Nous campons sur banc de sable où sont établis des Felatas, vivant là jusqu'à la crue du Chari et faisant paître leurs troupeaux et les abreuvant au fleuve.
28 Mars. - Cette nuit, première pluie et grand vent. Nous avons été, cela va sans dire, tous 3 trempés. C'est charmant ! BAUDIN a une tente mais avec un vent pareil, impossible de la dresser ! Le lion s'est fait entendre. La pirogue du courrier pour France arrive dans la nuit sur notre banc de sable.
A 10h, village de SÂROA, BÂRNA, fabriquent du sel aux bords du fleuve. Â la rÎve allemande, la région est habitée par les Massah. Dans la journée, un vent violent souffle subitement et donne au Chari de grosses vagues qui nous causent quelque inquiétude pour la sûreté de notre navigation. La baleinière danse, nous avançons péniblement et nous suivons la rive.
Nous sommes obligés de nous arrêter dans la soirée, tant la tornade est devenue mauvaise et la pluie s'est mise de la partie; on jette l'ancre et sous les gouttières de notre schimbek nous nous laissons tremper patiemment. Les pagayeurs se mettent dans l'eau sauf la tête, -
moyen comme un autre pour ne pas se mouiller !
29 Mars. - La nuit s'est passé sans eau mais pas sans moustiques. nous avons passé une partie de la nuit avec BAUDîN à fumer des cigarettes. Nous trouvons un village sur la rive allemande, habité cette fois, dont les uns se disent toujours sujets de GAOURANG (notre sultan'du Hagirmi); c'est à croire que les Allemands ne paraissent jamais dans cette contrée.
C'est ainsi d'ailleurs qu'en Avril 1903, se passa en face de Fort Lamy, le fait suivant: au village allemand de Kousseri, le sultan vint auprès des autorités françaises demander protection contre des Arabes du Diagara, également soumis aux Allemands, qui venaient leur faire la guerre.
Le Capitaine d'Infanterie Coloniale COLONNA de LECA, qui commandait le cercle de Fort Lamy à cette époque, répondit au sultan de Kousseri qu'il voulait bien aller le secourir, mais à condition qu'il lui fasse une demande écrite, afin de pouvoir motiver son intervention en pays étranger. Quand le sultan lui eut remis le mektoub,le Capitaine COLONNA, avec une cinquantaine de Tirailleurs, passa le fleuVe et donna la chasse aux Àrabes de Diagara. Mais MM. les Allemands, qui résidaient à Dikoa, capitale du Bornou, Vincent se plaindre au Commandant des Troupes Françaises. Je ne sais ce que fut le palabre. Il en est résulté du fait, l'occupation par un officier allemand, le lieutenant Stiebber, du village de kousseri et d'un sous officer allemand à Goulfeï, pays des arabes Diagara.
Je reviens au village sur la rive gauche qui me vendit pour un morceau de sel, quelques oeufs, 2 poulets et une brouma de mérissé; il n'y a plus de coton par ici, les nègres sont vêtus de peaux d'animaux.
30 Mars. - Encore une nuit affreuse; un vent terrible qui enlevait nos moustiquaires, les moustiques revenant nous dévorer dès que le vent cessait. Vers 3h du matin, comme bouquet, tornade; il faut tout plier et recevoir sur le dos, assis auprès d'un feu. Nous sommes partis avec la pluie et l'avonS eu jusqu'à 10h. ïl nous faudrait bien un peu de soleil aujourd'hui pour vider nos cantines'et faire sécher nos effets qui sont pleins d'eau. Rive gauche, village de MILTON. Avant d'accoster ce soir, nous vîmes un lion qui suivait la berge, guettant les antilopes qui viennent boire au fleuve au soleil couchant. Trop loin pour le tirer, nous le laissons faire sa ronde.
31 Mars. - Nuit de repos. Arrivés à DAMRAOU;-poste, sergent français à 10h. Poste nouvellement établi pour remplacer le poste de DÂMTAR, rive gauche, dont le territoire nous était contesté par les Allemands; De jolis papayers ornent le poste et nous ont donné aujourd'hui un dessert exquis autant que rare, avec la papaye. Le jardin du poste nous fournit également des patates douces et des feuilles de manioc pour faire les épinards.
Secteur pauvre néammoins, car le poste ne possède même pas quelques cabris ni poulets.
Avec des culots de cartouches (douilles vides), nous achetons quelques poulets au village . Nous quittons Damraou le vendredi-saint. Au moment de notre départ, arrive une baleinière montée par le Lieutenant DUJOUR, de Fort Ârchambault , lequel mobilise avec des garde,-régionaux et va occuper Melfi. II nous apprend que les Mandjias et les M'Brou, tribus
du territoire civil (pays du portage sur la tête) se sont révoltés. "Le Lieutenant MANGIN a été blessé d'une flèche, dans une affaire avec, eux, de même que l'Administrateur Civil TOqUE" ((le traître de Laon)
Rien d'étonnant, ma foi que de la Kémo à Gribingui, les noirs en aient assez de porter des oaisses de 30 kilos sur la tête, moyennant 5 ou 6 cuillères de perles et une de sel, et cela depuis plusieurs années. Ces miséreux portent pendant deux jours, soit 2 étapes, et ne touchent aucune nourriture, recrutés dans des villages à deux ou trois jours du poste, ils restent donc, quand vient leur tour de porter (2 fois par mois) 3 jours pour rejoindre le poste, plus 2 Jours de portage, plus 1 Jour pour revenir au poste, plus 3 jours pour regagner leur village, soit 8 ou 9 jours pendant lesquels les hommes sont hors de chez eux, ne sont pas nourris et vivent de vers, de chenilles et autres insectes et de rares fruits peu nourrissants de la brousse. Ils sont tous d'une maigreur de squelette, et sont plus brutes et plus sauvavages que des animaux. Voilà ce que sont les noirs qui viennent de se soulever, pas dangereux les pauvres diables, armés d'arcs et de flèches et en somme plus à plaindre, qu'à blâmer, et je ne suis certes pas negrophile. -Qu'on cesse donc cette distribution déjà trop ancienne de perles - dont les nègres ne savent que faire, hommes et femmes en sont recouverts..- et qu'on les remplace par d'autres pacotilles plus utiles, pas plus coûteuses (ce n'est pas difficile à contenter un nègre) mais quelque chose de nouveau enfin ! et puis, comme ce portage rend de réels sérvices à la colonie, qu'on y
attache donc quelques sacrifices et parfois une distribution d'étoffe à bon marché aura un effet extraordinaire chez les porteurs, qui seraient bien heureux de se vêtir une partie du corps, qu'ils cachent à peine au moyen de lianes et de feuilles. Je ne m'explique pas pourquoi l'Admininistration civile s'entête a donner des perles, et n'a pas encore trouvé un remède pour obvier aux difficultés du portage, voire même pour paraître un peu plus humain aux yeux des sauvages, leurs administrés.
Nous couchons à N'Gouri ce soir, après avoir dépassé l'emplacement de l'ancien poste DAMTAR que je vis il y a deux ans, à mon arrivée à la Colonie.
Maintenant, les devx rives du Chari sont françaises, à partir de N'Gouri.
2 Avril. - Aujourd'hui, navigation lente, les pagayeurs marchent dans l'eau pour pousser la baleinière. Nous passons devant KOUNO, rive gauche, champ de bataille de GENTIL contre RABAH, fin 99, où fut tué le Maréchal des Logis de POSSEL. Autres villages. GIONNE,MADOU, rive gauche, de race Kerdis. Ici, le Pays n'est plus musulman. Rive droite, KIOLEM vers 5 heures du soir. Encore de la pluie aujourd'hui sur le dos, naturellement.
3 Avril. - Jour de Pâques. Nous naviguons tout de même.à 8h rive droite, village de NIOU.
Nous remontons aussi le grand chaland plein de ravitaillement celui qui avait sombré il y a quelques mois et que l'on a réussi à renflouer.
A midi, nous nous arrêtons au village de Gay (ancien village TOGBAO) aux pieds des collines de NIELEM, théâtre du massacre de la mission BRETONNET, Juillet 1999.
Nous nous envoyons aujourd'hui le déjeuner suivant dont voici le menu:
Potage printanier
Asperges en boîtes de conserves
Poulets, ragoût patate douce du Baghirmi
Riz au lait stérilisé
Papaye
Vins: Rouge, Bordeaux 46cl
Café
1/2 Champagne Moët Chandon pour 3
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4 Avril. - Dans la journée du 4, nous passons des rapides, sur plus de 1km; d'énormes rochers barrent le fleuve; nous passons difficilement.
6 Avril. - La nuit derniere, les éléphants ont troublé notre sommeil; nous campons sur un banc de sable en contact avec la rive. Les boys nous ont réveillé. BAUDIN et moi prenons notre carabine; un boy prend le photophore tant la nuit est noire et nous allons sur la rive. Tout près de nous, dans les hautes herbes, sont les éléphants dont nous voyons à peine la masse noire; ils broutent, nous ne tirons pas, ne pouvant distinguer la tête car à tout autre endroit du corps, la balle est perdue; nous retournons nous coucher et peu après, un bruit pareil à un grand vent se levant subitement se fait entendre. Vlan ! disons-nous, voilà la tornade; mais aussitôt une galopade nous apprend que ce sont les éléphants qui fichent le camp et qui, foulant les herbes, brisent les branches des arbres produisant ce bruit, pareil à celui d'un gran Vent.
' Aujourd'hui, nos pagayeurs sont à la noce, nous avons rencontré une pirogue chargée de viande d'un boeuf sauvage, les noirs leur en ont donné, aussi ce soir, de grands feux sont allumés pour cuire et fumer cette bidoche - qu'ils pourront conserver ainsi
2 ou 3 jours.
6 Avril. - Encore tornade cette nuit, de l'eau aussi, pas de sommeil. Quel temps, quel pays !
Nous rencontrons une baleinière aVec un blanc, le Lieutenant DESCHAMS de l'Escadron de spahis avec le sellier. Après quelques tuyaux que je lui donne sur l'Escadron, nous nous quittons.
Nous sommes arrivés à Fort-Ârchembault à 3h après-midi. M. BRUEL Administrateur de la région; M. REYMOND, Administrateur adjoint; M. RIBHE, " Trésorier Payeur, un sergent d'Infanterie Coloniale, habitent le poste. Ici, des miliciens seulement, nous ne sommes plus en territoire militaire. 100.000 thalers sont dus dans la caisse du Trésorier Payeur qui - ô ironie du fonctîonnarisme, ne peut pas payer. Lui-même ns dit qu'il attend un ordonnateur? Quand viendra-t-il? En la personne de qui se montrera-t-il? En attendant, les troupes du Territoire du Tchad restant impayées.
M. l'Administrateur BRUEL voudrait bien des tuyaux sur la mobilisation vers l'Ouadaï. Nous ne pouvons lui en donner de récents. Le commandant LARGEAU ne lui a encore rien écrit; il commande de son côté une levée de 1000 hommes du petit Sénoussi du N'Delé, lequel, dit-il, ne demande qu'à marcher sur le Ouadaï. Si la situation est l'offensive, M. BRUEL met en mouvement cette force, Oh! combien, à mon humble avis, sera-t-il préférable de n'avoir rien à demander à ce fameux SENOUSSI, en cas de conflit avec les Ouadaïens, car
que peu sûr est ce sultan: assassin de Crampel et il ne peut nier qu(il a armé la main de l'assassin, quoique le massacre de cette mission date de 1891. Méfions nous de SEMOUSSI. Un Interprète militaire M, PAPE est à N'Delé, comme Résident de France auprès de lui.
Si au 6 Avril M. BRUEL n'a encore rien reçu du Commandant LÂRGEAU, c'est qu'il n'y a eu aucun engagement, donc depuis le 13 Mars, date de la mobilisation,il n'y a rien eu de nouveau; je m'en doutais. Je trouve au poste le Lieutenant BURTHE et le Vétérinaire LEFEBVRE de l'Escadron. Il y a ici 30 chevauax de petite taille, cheveaux Sara, envoyés de LAI (LOGONE) par le Lieutenant FAURE de l'Infanterie Coloniale, pour le service des étapes des passagers. Peut-être partirons-nous par voie de terre jusqu'à Gribingui; le voyage est plus court que par le fleuve;- mais il est éreintant me dit le Lieutenant BURTHE, car les gîtes d'étapes sont à des distances inégales et trop éloignées.
Un courrier de France, le Belge de Janvier, arrive le 7 ici, j'ai une lettre. M. l'Administrateur a à Fort Archambault une station météorologique très complète, et doit être l'homme des conférences ...Le Chari a eu une crue supérieure de 50 c/m sur l'année derniere.
Le Territoire porte 1e nom de Chari-Tchad, la force de police est la milice ou garde-régionaux. Ces garde-régionaux ont la surveillance des gîtes d'étape ou poste qui sont établis de Fort Archambault à Fort de Possel. Un garde régional de 1° ou de 2* classe est le chef du poste et il a avec lui 2 ou 3 garde-régionaux de 3° classe; Fort Archambault est le chef-lieu du Territoire Chari-Tchad avec Administrateur BRUEL et Administrateur-Adjoints: PUJOL, REYMOND, BOBICHON, qui ont chacun le commandement des Cercles et Secteurs de Krébedjé, de Gribingui et de Fort Archambault. Des commis aux affaires indigènes leur sont adjoints pour les écritures, la garde des magasins, la distribution des vivres et autres services. La région fournit comme impôt: l'ivoire, le caoutchouc, le manioc, le mil.
Je fais une visite au cimetière où dorment leur dernier sommeil les victimes de la mission BRETONNET et d'autres décédés après maladie: des croix en fer données par le "souvenir Français" avec le nom du défunt ornent chaque tombe. Une croix, hélas! ne sait où se poser, c'est celle du Maréchal des Logis de Possel, dont l corps ne fut jamais retrouvé.
12 Avril. - Le sergent agent des postes de Fort Archambault m'a remis un paquet de lettres qu'il avait gardées comme je l'en avais prié et j'ai été bien heureux de trouver tant de bonnes nouvelles à la fois de la famille et des amis. Reçu aussi un colis-postal envoyé par mes parents: quelques conserves fqnt plaisir dans de tels pays.
8 Avril. - Avec 22 jours de vivres, nous avons quitté Fort Archambault le 8 en baleinière à 8h 1/2. Nous touchons ici du café du pays de Senoussi. Vers 5h, nous nous arrêtons et couchons au gîte de BANDÂ, rive gauche, village voisin de KABBAS. Une grande case pour passagers nous abrite. Nous achetons là des arachides avec lesquelles et,du miel, ALI nous a fait un assez bon nougat, rien de Montélimar.
Une épidémie de variole noire s'est abattue dernièrement sur le village KABBAS, on ne voit de ci, de là, que terre remuée au pied d'un arbre et quelques morceaux de chiffon ou des débris de mamite suspendus à un bâton planté en terre pour éloigner les fauves. Triste demeure dernière !
9 Avril. - A 10h, village, rive gauche DAR, pas d*eau vers ce point, difficulté de passer.
10 Avril. - A 3h poste de BONGO rive gauche garde-régional; Nous trouvons là 2 artilleurs qui rejoignent Fort Archambault par voie de terre.
11 Avril. - Ncus avons encore eu une tornade hier soir mais elle cessa pour nous laisser dormir. Les rives maintenant se resserrent, elles sont boisées, la végétatîcn est dense, mais toujours peu d'eau. Nous sommes au moment des plus basses eaux du fleuve,aussi nous n'allons pas vite et nous mettrons peut-être 25 jours pour arriver à Gribingui.
12 Avril. - Nous avons été sur les dents hier soir. Campés dans un étroit banc de sable, refuge habituel d'hippopotames, ceux-ci nous ont fait une musique, voulant à tout pris y débarquer. Nos coups de fusil ne leur ont fait quitter la place que très tard dans la soirée, nous obligeant ainsi à dîner ayant la fourchette d'une main et la carabine de l'autre.
Nous rencontrons ce matin deux baleinières chargées de ravitaillement et porteurs du courrier de France du 15/1. Encore un que nous ne lirons pas de sitôt. Rive droite, ce matin, un affluent, la SOUMASSOU.
13 Avril. - Nous sommes arrivés au poste de LERINA à 9h ce matin, une nouvelle baleinière de ravitaillement y arrive aussi. Rive gauche et touchant au poste, la rivière de Lerina. Nous trouvons difficilement ici à acheter deux poulets. Pas d'oeufs, pas de cabris.
14 Avril. - Départ de Lerina; après 3/4 d'heure de marche, nous entrons dans le Gribingui; laissant le Chari qui se resserre considérablement et qui reçoit à ce point le BAS-MINGUI qui lui est parallèle â l'embouchure, le Gribingui lui est perpendiculaire.
A 10h nous trouvons les premiers rapides, d'un passage difficile, d'énormes rochers émergent de l'eau, barrant le passage, les pagayeurs se mettent à l'eau et poussent à la chaîne la baleinière qui avance lentement. Deux ou trois fois, la chaîne est lâchée,
les pagayeurs n'ayant plus pied; aussitôt la baleiniere recule, poussée par le courant. Au moyen des rochers, j'ai pu atteindre la berge, BAUDET, COLAS et moi nous mettons aussi à la chaîne. bref, après une heure d'efforts, le rapide est franchi. Une heure plus loin, nouveau rapide plus dur à passer; il faut décharger pour la baleinière; les blancs passent par terre et les noirs, au prix de mille peines remmontent le courant au milieu d'énormes
rochers. Conme il suit une séri de rapides, nous passons sur rive gauche, laissant les noirs sur le fleuve. Armés de nos carabines, nous cherchons le gibier pour la repas du soir, mais
une végétation sauvage et dense nous permet à peine de circuler; nous marchons presque à quatre pattes, les jambes embarrassées dans des roseaux, le oorps pris dans les lianes pendantes des arbres qui sont les uns sur les autres. Nous rencontrons de nombreuses traces de fauves hippopotames (élephants principalement. Vers 4h seulement, nous rejoignons l' embarcation qui a mis plusieurs heures pour passer tous les rapides et pour ne franchir que 1k500 du fleuVe. C'est la période des basses eaux, le passage des rapides n' offre pas de dangers, mais il faut un temps infini pour les franchir en remontant le cours de l'eau. Les hautes eaux ont laissé sur les arbres des berges des traces de 2m50 et 3m au-dessus du niveau d'eau actuel. Cette hauteur est atteinte à partir du mois d'Aout ou Septembre. Ce soir, au campement, les hyppos viennent encore troubler notre repos; pour les éloigner, les Yakomas jettent dans l'eau des morceaux de bois enflammés
18 Avril. - Nous avons passé de nouveaux rapides le 16. Pas de hameçons, pour la pêche à la ligne; je tue quelques poissons sur la rive avec une Winchester de Colas; le plomb fait bien son oeuvre. Cette chasse, ou plutôt cette pêche d'un nouveau genre nous donne quelques fritures avec notre huile d'arachide (huile du pays) Vu ces jours-ci des termitières d'une hauteur de 4 à 5m; construction solide qui, à l'occasion, nous sert de four à pain. Très pratique, la solidité de la termitière permet de creuser un trou large et profond. Cette nuit encore, agrément d'une tornade qui, pour ne pas changer, nous trempe jusqu'aux os. La bâche quë possède BAUDIN protègè nos lits dans lesquels nous nous replongeons, une fois la tornade terminée ; il arrive parfois qu'il nous faut reconmencer le manège deux ou trois fois en pleine nuit, c'est-à-dire sortir du lit, le plier, le mettre sous la bâche, se recoucher et répéter cet exercice agréable quand l'eau recommence à tomber ! Quelles nuits et qu'il faut donc avoir le caractère bien-fait pour supporter gaiement tant de misères ! II n'y a que demi-mal encore quand le lendemain de ces nuits sans sommeil, sous la tornade, l'accès fiévreux n'a pas le dessus !
19 Avril. - J'ai tué aujourd'hui une grande antilope dite "bubal* coiffée de cornes en forme de lyre que je conserve; Voilà de la viande, pour aujourd'hui et demain; quant aux nègres, je leur ai fait une grosse distribution mais dans un seul repas, tout y passe et il faut voir avec quelle sauvagerie cette viande est grillée et mangée. Rien ne se perd.
Un grand feu est allumé, sous une table faite au moyen de branches d'arbres et des morceaux de viande posés dessus se fument et se grillent et sont ainsi mangés; le tableau est très appétissant!!! surtout quand la viande provient d'un animal ou d'un caïman mort depuis plusieurs jours. Quelle infection ! Mais rien ne dégoûte ces sauvages dès l'instant que ... Viande !
0n trouve également sur la rivière des ponts faits au moyen de lianes des arbres; les nègres passent dessus quand les eaux sont hautes. Â 2h 1/2 nous arrivons au poste de LUTOS.- garde pavillon noir - gîte d'étape pour la voie de terre également , appartient au cercle de Gribingui. C'est le payd des Ârétous, région pauvre. Cette nuit, la peau d'antilope que j'avais étendue dans la cour du poste a été enlevée par une hyène. Encore une tornade hier; décidément il est dit que nous serons trempés jusqu'au bout du voyage. Nous trouvons avec peine à acheter 3 poulets avec des perles, cette monnaie est usée, les noirs n'en veulent plus, il y a trop longtemps qu'on les paie avec cet article. Avec du miel et des arachides, mon boy ALI nous fait du nougat.
20 Avril. - Nous quittons les Lutos à une heure de l'après-midi avec 4 jours de pain tout brûlé, le four qui n'était qu'un trou creusé dans une butte, ayant dégringolé; avec cela, plus de biscuits. Heureusement que la graisse et la farine ne nous manquent pas, aussi faisons-nous, pour remplacer le pain qui n'est pas mangeable, des beignets. II serait bon pourtant que M .M. les Administrateurs et autres des Affaires indigènes, qui occupent et gouvernent ce territoire, et qui ont dans les chefs-lieux de cercle, tels que Gribingui, des ouvriers maçons, fassent construire dans les postes de leur cercle, gîtes d'étape, un four qui mérite ce nom et que les passagers seraient bien aises de trouver au cours de ce long voyage! Mais ce doit être le moindre de leurs soucis à MM. les fonctionnaires civils que les militaires passagers séjournent dans des postes dépourvus de tous vivres Européens, et logent dans des cases inhabitables en saison des pluies. Vers les Lutos, la région est rocheuse, des rochers se dressent près des rives et au loins j'aperçois des collines boisées. Le lit de 1a rivière est aussi rempli de rochers, d'où marche lente, énervante au plus haut degré, toujours devant soi le même tableau d'une rivière peu large, bordée de rives hautes et boisées, aspect en somme ravissant pour celui qui navigue une journée ou deux sans aucun but, se promenant!.., mais qui n'a plus rien de folichon pour celui qui comme moi et mes amis passent des semaines entières sur la même rivière, écrasés et grillés dans une petite embarcation, dans la promiscuité puante de boys et de nègres, au- milieu de paniers et de caîsses, voisins d'une cuisine aux odeurs fortes, etc etc, tout celà du matin au soir, du soleil levant au soleil couchant. Rivière au cours sinueux qui vous colle de temps en temps le soleil en pleine face ou sur le dos; on va du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest et on voit- à peine- à 100 m devant soi; après quoi, nouveau coude, autre direction.
Brrr ! Nous sommes tous dans un triste état; de longues heures passent sans échanger une parole, allongés dans une chaise longue d'où l'on ne peut bouger sans marcher sur les pieds du voisin endormi ou non mais qui vous accueille par un grognement ; et le soir arrive , avec lui un peu de fraicheur, -le soleil meurtrier disparaît et enfin débarrassé d'un casque, dont le port continuel est un vrai supplice, on sort du shinbek tout paralysé pour grimper sur une caisse et respirer enfin béatement. Puis, quand la nuit approche, les regards se portent sur la rive pour lui demander de gros arbres qui abritent un petit coin débroussé; ce petit coin trouvé, on se contente de peu: juste de quoi allonger 3 lits Picot et tendre 3 moustiquaires, on accoste alors, les boys allument le feu et moins d'une demi -heure après un maigre dîner est fait et servi. Et ce dîner se compose de quoi ?
Quelquefois d'un poulet, et aussi d'une pintade quand on a eu le plomb heureux et plus souvent, quand cette volaille fait défaut, c'est le riz ou les haricots indigènes avec la boîte traditionnelle d'andobage (appelé vulgairement par le troupier: du singe) qui est le seul plat de consistance.
Malgré tout, un léger café et une pipe de tabac du Bornou ramènent la gaîté parmi nous et nous donnent 1'illusion d'une terrasse de la Cannebière, en fermant les yeux, s'entend.
Mais puisque c'est le retour, puisque je marche vers ce pays de France, où sont ceux qui me sont chèrs, puisque je retrouverai dans quelques mois joies et plaisirs, pourquoi se faire de labile ? Et vers 9 et 10 heures, toutes ces réflexions faites, le souvenir vers la Patrie, l'estomac léger on s'enfile sous la moustiquaire pour y dormir, ou n'y pas dormir du tout suivant qu'il y a tornade ou non, moustiques ou point.
COLAS dans la journée chasse dea oiseaux au riche plumage: martins-pecheurs, foliotocoles etc. qui pullulent sur la rive de la ririère; mon boy pique une tête dans l'eau chaque fois que l'oiseau tombe et le gentil petit animal livré au canif de l'adjudant est vite bourré de savon arsenical, puis mis soigneusement de côté pour aller se poser dans trois mois sur le chapeau de Madame COLAS ou d'une jolie cousine...
Tous ces instants sont autant de distraction ! BAUDIN et moi, nous chinons COLAS qui entasse, entasse toujours, qui connaît le prix en France de chacun des oiseaux qu'il tue, mais qui ne veut pas convenir qu'il cherche une vente productive.
22 Avril. - A 6h du soir, aujourd'hui 22, nous arrivons à Finda par une tornade terrible; quelle chance d'etre arrivés ! nous avons un abri ce soir. En aval de Finda, vers 3 heures de l'après-midi, coule le Kouanouga affluent de la rive gauche. Nous trouvons à Finda un sergent- français e" un Sous -lieutenant Indigène, qui descendent du Chari et qui précèdent la colonne MAUGIN, forte de 70 tirailleurs, qui vient de faire une répression chez les Mandjias. Le Lieutenant MAUGIN blessé," est guéri de sa blessure; La région côtiere du Gribingui est pauvre et peu peuplée, les villages fuient les rives.
23 Avril. - Après avoir réussi à acheter deux poulet et du manioc, nous quittons Finda, poste gardé par un Yakoma garde-régional, à 7h 1/2. Dans la soirée, nous croisons une baleinière, montée par des tiraillèurs sénégalais et leurs femmes sénégalaises. A gauche, le Gribuingi reçoit encore un affluent, que nous voyons vers 2 heures.
24 Avril. - Quelle mauvaiee nuit encore ! Ce ne sont plus les moustiques, maisles fourmis qui ont envahi nos moustiquaires et qui nous ont dévoré les jambes. Dès que l'alarme a été donnée par les noirs, nous fûmes debouts en un clin d'oeil, mais en homme familiarisé avec ces sortes de réveil brusque, je quittai d'un bond ma couchette et me réfugiai à quelques mètres plus loîn sur une place non visitée par les fourmis, car en restant sur place pour essayer de chasser ces sales bêtes, on ne réussit qu'à en être couvert en un clin d'oeil.
Peu après, quand le lit est vide, les fourmis, privées de sang se retirent et les boys avec une torche allumée ont tôt fait de les griller.
Nous avons hâte de toucher Gribingui (Fort Crampel) car depuis plusieurs jours nous vivons de riz et de beignets de farine; la chasse est peu productive et c'est éreintant de chasser sur les rives de la rivière où une végétation sauvage, arbres et hautes herbes, rendnet la marche pénible; et la baleinière, si elle doit attendre celui qui chasse, retarde considérablement sa marche etc..de ce "fait, le voyage, déjà long' oh ! oombien !
s'éternisera davantage. Mon avis et celui de mes compagnons de route est qu'il vaut mieux encore manger peu et mal que d'allonger le voyage de quelques jours pour le plaisir de tuer du gibier. Nous sommes tant habitués déjà aux privations qu'il ne nous en coûte plus de continuer.
25 Avril. - A 9h affluent rive droite. A 10^ 1/2 poste de OUDJO, gîte d'étape N° 1 en partant de Gribingui vers le Nord. C'est un village de Bandas, récemment amenés là par l'administration BOBICHON (c'était la mission Marchand) dans une récente tournée faite dans son cercle.Les habitants paraissent être mis en confiance, ils nous vendent du miel, du manioc, des poules et des haricots payés avec des perles et du sel.
J'étais à ce point1 fatigue par 42 jours de baleinière que hier, à Oudjo me sachant à une étape de Fort-Crampel, j'ai quitté la voie d'eau et j'ai pris la voie de terre. Mes camarades ne m'ont pas accompagné. Je suis arrivé au poste à 10h du matin, passablement exténué par une marche de 30 kilomètres à pied pendant une partie de la nuit et en terrain très accidenté, plutôt montagneux. J'avais pris avec moi un pagayeur qui m'a serVi de guide et muni d'un peu de biscuit et de quelques vivres froides, marchant à l'Est, j'ai quitté 0udjo à 1h 1/2 du soir. A 3h 1/2, le chemin suivi passe la rivière, de l'eau jusqu'aux genoux, j'ai passé sur la rive droite et suivi le Gribingui pendant plus d'une heure. Le chemin s'écarte de la rivière et se perd ensuite dans là forêt en filant au Sud. A 4h 1/2, le guide me fit arrêter, me conseillant de manger car nous n'allions plus avoir de l'eau jusqu'au lendemain. Je l' écoutai ,- pris mon maigre repas et après un peu de repos, me remis en route. -Je tirais dans quelques troupeaux d'antilopes qui fuyaient au loin au moindre bruit de mes pas et la nuit tombant bientôt, je me rapprochai de mon guide afin de ne pas m' égarer.
Je marchai longtemps dans la nuit en pleine montagne; par moment le bruit d'une hache sur du bois troublait la quiétude du lieu; mon nègre parlementait avec un nègre que je ne voyais pas mais que je devinais perché sur un arbre où il ramassait du miel
- à ce que J'ai pu comprendre à l'explication donnée par mon guide.
A 10h du soir, j'avais assez marché, je m'arrêtai et fis faire un grand feu par mon homme et me couchai à oôté, enveloppé dans une couverture, ma carabine près de moi. A 5h 1/2, je me remettais en route, à 7h le chemin avait quitté la montagne et arrivait bientôt auprès d'une petite rivière au lit très profond mais où coulait peu d'eau, le KODDO, qui se jette dans le Gribingui, en amont du poste, à 1h de marche. .Je traversai cette rivière et vers 9
heures, j'arrivai enfin aux premieres cases des villages voisins du poste, A 10h j'entrais dans Fort Crampel où se trouvaient le Capitaine JULIEN, l'Administrateur BOBICHON, le commis des Affaires indigènes GAUD.(triste individu qui fût condamné pour avoir fait sauter des indigènes à la dynamite... Il est vrai de dire que ces indigènes étaient des condamnés à mort... GAUD était sous les ordres de TOQUE, qui fût condamné aussi comme responsable. C'est de là que commence pour Toqué la série de ses malheurs. La prison le perdit... sans Gaud, Toqué aurait continué sa carrière coloniale paisiblement.. en 1904, il était loin de penser à sa triste fin... Cruelle destinée !) . Le poste bien agrandi a aujourd'hui des bâtiments confortables, 70 gardes régionaux sont logés, le poste a un grand jardin potager et bananiers, cotonniers, papayers bordent les allées. Une petite charrette construite ici au moyen de deux roues d'un affût et de quelques caisses a déjà porté ces fonctionnaires à 56km de là, jusqu'au poste de NANA, point où une route à peu près viable aboutit! Mais on en est encore là et c'est tout ! Pas un commerçant n'est encore venu jusqu'ici, pas de factorerie, il n'y a que du fonctionnaire. Aucuns travaux n'ont été menés à bonne fin. Il y a aujourd'hui comme route large, nouvellement faite, en chantier, 16 km de longueur. Quand marchera t'on de Krébedjé à Fort Crampel sur une route qui mérite le nom ? Il y a pourtant des noirs dans cette région, mais pour qu'ils travaillent et ne se dérobent pas par la fuite à l'autorité administrative, il faudrait remplir auprès d'eux une condition essentielle qui ne l'est pas: celle de nourrir -d'un peu de manioc- et de payer -d'un morceau d'étoffe- les travailleurs. Mais on s'acharne à forcer les indigènes à accepter des perles ont ils ne veulent plus...
Ainsi autour de Gribinguî, les femmes sont recouvertes de ces perles rouges, blanches et bleues de la tête aux pieds; mais sans un morceau d'étoffe pour cacher leur nudité. Il serait si simple et non pas plus coûteux de changer de pacotille, d'abandonner la perle, de satisfaire ainsi les nègres qui se grouperaient alors auprès des postes, accepteraient de travailler, encouragés par le gain de bibelots nouveaux et d'étoffes. L'impôt apporterai à l'administratîon un peu de caoutchouc et quelques pointes d'ivOire . Huit chevaux servent ici au transport des passagers, mais il n'y a pas de bétail, sauf quelques mauvais cabris.
Ce soir à 6h, la baleinière arrive avec BAUDIN, COLAS, les pagayeurs ont donné ferme pour arriver aujourd'hui; je ne les attendais que demain dans la journée. J'ai gagné sur eux 8h mais aussi quelle étape !
On nous apprend ici que la ration journalière n'est plus délivrée gratuitement aux officiers la colonie; je ne suis pas surpris d'une diminution dans les avantages qui nous sont accordés ici, le contraire m'eût fort étonné.
Le Capitaine JULIEN qui attend ici 1'arrivée du Commandant GOURAUD, m'apprend que la région Chari-Tchad revient territoire militaire jusqu'à Gribingui. Port-Archambault va donc être évacué par l'Administrateur Civil et le commandement de ce cercle sera donné à un Capitaine.
, L'effectif des troupes du Tchad est renforcé, une nouvelle Compagnie de Tirailleurs se rend à Fort lamy par Zinder. L'Escadron est porté à 120 sabres.
Mais les indemnités diverses accordées jusqu'ici sont supprimées, la solde pour les officiers devient celle de France doublée et l'indemnité de séjour n'est plus que de 4 francs pour tous les grades. La ration est emboursable à 1f35; l'indemnité de monture (15 frs par mois), est accordée aux officiers montés.
L'Administrateur de Gribingui nous communique une lettre du Commandnat LARGEAU (qui confirme mesvues), Commandant des Troupes du Tchad. Qui fait connaître que tout danger vers le Ouadaï est écarté.-Seul le S-E.du Baghirmi semblerait être menacé.. Donc, pourla troisième fois, rien de nouveau vers le BATHA, les Ouadaïens menacent toujours mais se gardent bien d'attaquer. Encore une mobilisation à l'oeil; je suis bien heureux d'avoir coupé à celle-là et d'avoir pu quitter le territoire en Mars, malgré tous ces bruits d'invasion OuadaÏenne.
Y a-t-il quelque chose de plus énervant que ces continuels mouvements de troupes, fausses alertes, suivies de mobilisation avec armes, vivres, munitions, tout le convoi d'une colonne, qui occasionnent de grandes fatigues sans donner la consolation ds trouver un ennemi à frapper, à vaincre et d'avoir fait oeuvre utile au pays?
C'est là l'état d'énervement dans lequel nous sommes tous plongés, blancs et noirs, depuis plus d'un an au Tchad.
28 Avril. - Ce matin à cheval, BAUDIN et moi, en tippoye l'adjudant COLAS, nous quittons Gribingui avec 35 porteurs pour no» bagages, Pauvres nègres ! la plupart sont des enfants, les hommes sont de vrais squelettes, ils ont de la peine à charger sur leur tête des colis de 25 kilos. Ils partent ainsi, pour porter pendant deux jours, sans aucuns vivres; l'Administration ne leur donne rien (si des perles) et eux-mêmes, misérables n'ont pu prélever sur la "ressource" de la case le moindre morceau de manioc pour assurer leur nourriture. Je les plains, mais ma pitié pour eux nep eut se manifester, je suis dans la brousse et ma foi, il me faut en sortir avec mes cantines - que je ne puis pourtant
pas porter - Toute hésitation serait maladroite, tout bon sentiment serait puéril, je n'ai qu'un but: sortir d'ici, aller de l'avant. Et puisque des nègres seuls sont à ma disposition - la région ne possédant pas d'animaux porteurs,et la Deceauville fait sur les rapports offîciels seulement je pousse ces sauvages devant moi en évitant seulement de les maltraiter ; Aujourd'hui, pendant les halte je les voyais manger avidemment des vers, chenilles, mouches et autres insectes qu'ils saisissaient adroitement au vol ou sur les herbes, tel un bon chat; Par moments, plus heureux, ils s'arrêtaient pour cueillir quelques fruits de brousse sur les arbres. J'y goûtai mais je ne les trouvais pas fort bons. Ainsi Vivent ces indigènes pendant une étape de 35km avec une caisse de 25 kilos sur la tête. Le soir venu, aux 3 Marigots, première étape après Gribingui, je fis une distribution de viande de conserve et de mil à nos porteurs, pris sur notre ration. Mais le matin je fus bien récompensé de mon excès de bonté: 30 de nos malandrins avaient profité de la tornade de la nuit pour planter là nos caisses et prendre la brousse. J'étais dans une colère folle et si ces nègres étaient retombés dans mes mains,ils auraient reçu une volée de coups de chicotte pour fouetter leur corps amaigri.
Fort heureusement que le garde-régional parvint à nous fournir 30 autres porteurs, à 8 heure s du matin, ce qui nous permit de continuer notre route. A signaler un chemin assez large et débroussé avec fossés de Gribingui aux 3 Marigots, on peut donc aisément y passer à cheval . Je suis monté sur un petit Sara de 1m35, bien fatigué et blessé au garrot; c'est ce qu'il y avait de mieux au poste. Je l'ai pris tout de même, sûr d'être porté et de ne
pas faire les étapes à pied tout en ayant soin de ne pas garrotter davantage mon cheval.
COLAS, fatigué, a dû renoncer à se servir de ses porteurs pour se faire porter en tippaye-, ceux-ci l'ayant déposé plusieurs fois à terre trop brusquement ; le voyant éreinté, vers 5 heures du soir, je lui ai passé mon cheval et j'ai terminé l'étape à pied. Porteur de ma carabine 74, je flairais de ci, de là, aux abords de la route, m'attendnat à voir une panthère. Je suivais des traces fraîches depuis plus de vingt minutes déjà mais je n'ai pu voirle fauve. Le chemin est fréquenté par des negres et des négresses débouchant de la forêt et portant sur leurs têtes des paniers de caoutchouc.
Des 3 MARIGOTS à NANA, nous croisons deux sergents qui vont remplacer au Chari deux camarades. Même route bien débroussée et assez large. A Nana, nous trouvons des officiers et des sous-officiers, notamment: le chef MARNAK, un Maréchal des Logis, VIOLET, le Trompette de l'Escadron. Tant de passagers à la fois dans le même poste a l'inconvénient
de nous priver de vivres; le garde-régional ne peut nous céder ni un poulet ni un oeuf; Je trouve 3k de mil pour mon malheureux cheval. Nous avons été sauvés pour le dîner à l'arrivée, un Capitaine nous ayant invités à partager leur repas, fait de conserves RODEL, provisions venant de France.
Ces Messieurs nous apprennent que la Russie et le Japon sont en guerre et nous donnent toutes nouvelles d'Europe qui nous sont Inconnues: je n'ai pas lu un N° du journal postérieur au 5 9bre 03 (6 mois ...)
30 Avril. - Nous avons quitté Nana à 6 heures ce matin, en prenant des directions différentes: moi vers la côte et les offîciers et sous-officiers vers l'intérieur, la route est déjà moins bonne, de longs morceaux ne sont pas débroussés, les ponts sur les rivières sont démolis. De celà je souffre peu, car je voyage pendant la saison sèche et les rivières, les ravins sont à sec ou à peu près. En saison des pluies, le passage serait plutôt difficile. Néammoins, à chaque rivière et ravin, il me faut mettre pied à terre si je ne veux être précipité dedans avec mon "carnasson". Je suis arrivé au gîte d'étape de Dekoa à 4 heures. J'y trouve un offîcier d'administration, d'Artillerie et un ouvrier d'Artillerie qui travaillent au tracé de la route Krebedjé-Gribingui. Cette nouvelle route large avec fossés, établie déjà sur une quinzaine de kilomètes vers ces deux points, es destinée, me dit l'Officier d'Artillere à la construction d'un Decauville à chevaux; Mais toujours le hic! Cet officier ajoute: "Si j'aurais cent travailleurs à ma disposition, la route serait achevée avant quinze mois, mais les noirs fichent le camp dans la brousse; Alors! Quand roulera le Decauville?
Si les nègres comprenaient que l'établissement de ce Decauville marquera la fin de leur portage, ne donneraient-ils pas un bon coup de collier pour en hâter l'inauguration et être débarrassés de cette lourde charge. C'est douteux qu'ils veuillent le comprendre, ces sauvages-là n'envisagent point l'avenir. Ce sont des êtres qu'il faut prendre tels qu'ils sont, mais non pas chercher à en faire ce qu'ils devraient être. Dans cette région,
l'indigène n'a pas de religion; plus de Musulmans, des fétichistes ou point...
Encore plus de vivres ici. la misère ne nous étonne plus, j'en ai dit les causes: les villages ne veulent plus porter aux blanes leurs poulets et leurs cabris, refusent d'en élever au prix de quelques perles. Et puis, depuis l'occupation, combien de mille poulets et cabris ont été mangés par les Européens et aussi par Messieurs les Sénégalais. chefs de poste, gardes-régionaux, ont abusé de leur situation et de leur force pour imposer à outrance les villages, voler les habitants, en un mot, pour se soigner et se nourrir mieux que les blancs eux-mêmes.
- Que de maux et d'exactions n'ont pas commis ces serviteurs de la France auxquels parce- que Sénégalais, nous avons le grand tort de laisser trop de liberté et de placer notre confiance, mais aussi nous en avons grand besoin.-
Le Sénégalais, en général, car je dois reconnaître qu'il s'en trouve de bons, saigne tant qu'il peut le nègre qu'il appelle: "Bougré di sale sauvage"
Bref,- nous trouvons ici- à acheter tout en gros queloues petites tomates de brousse; ma foi, en mangeant peu le soir, on est plus léger 1e lendemain pour marcher et nous restons toujours gais, puisque des trois, aucun n'est malade.
1 Mai. - A 5h 1/2 nous quittions DEKOA, II a fallu prendre un bain aujourd'hui; 2 rivières à traverser, dont la GUIFA, avec de l'eau jusqu'à la ceinture,, L'étape a été moins longue, nous sommes arrivés au poste à une heure sans avoir mangé, naturellement. Nous y retrouvons deux sergents et SEVAT partis avant nous de Fort Lamy, et qui sont arrêtés ici faute de porteurs. II est à prévoir que nous allons poser également. Sur une grande partie de parcours aujourd'hui, la route est bonne, on pourrait presque la faire à bicyclette. le sol est dur, parfois rocheux mais peu accidenté. On traverse toujours depuis Gribingui du reste - la forêt. A droite et à gauche, on ne peut voir aucun village tant la Végétation est dense;
Qu'allons -nous manger dans ce bled ? II est urgent de poser la grave question. Le garde-régional que j'ai fait mander tantôt, répond invariablement à toutes mes demandes: "y en a pas, mon Lieutenant".
Déjà ce soir, mon cheval se bombe de mil, Pauvre vieux ! Je lui soigne le garrot, Il va déjà mieux qu'au départ, mais je suis assis sur la croupe.
2 Mai. - Le trompette SEVAT et les deux sergents ont quitté les Ungourras ce matin. Nous n'aurons pas nos porteurs avant deux ou trois jours. L' adjudant COLAS fait le tour du poste avec sa Winchester et a tué deux pigeons verts qui ont fait notre souper avec du riz.
3 Mai. - Encore une journée d'attente, pas de porteurs. Trop fatigués pour chasser, le Sénégalais garde-régional prend la carabine pour aller nous tuer une "pintade" , car dit-il: "Quand blancs y a pas gagné manger, ça y a pas bon" Nous sommes entièrement de son avis, mais la pintade n'est pas venue ce soir dans la casserole;
il nous rapporte un seul oiseau. Mais avant la fin de la journée, un homme du village lui apporte 9 oeufs qu'il s'empresse de me remettre; j'achète à ce noir un pot de miel avec du sel; voilà donc le dessert trouvé avant le rôti ! Mon boy ALI qui est notre cuisinier et qui ne cesse de me dire: "Tu sais, lieutenant ça pays pour sauvages ! Y a pas bon ! moi y a pas manger viande et y a marcher toujours avec mon pied," se lamente de ne rien
avoir à nous servir. Je le console en lui disant que nous aurons bientôt des jours meilleurs et en lui faisant apporter la bouteille de Pernod; l'apéritif sert de potage. Un commis des Affaires Indigènes de Gribingui a bien voulu me oéder un litre d'absinthe sur une caisse qu'il venait de recevoir, voilà commment nous nous payons le luxe d'un apéritif à oôté de casseroles vides. Nous n'avons pas besoin d'exciter notre appétit !..
4 Mai. - Il paraît que nous aurons nos porteurs cette nuit; nous partirons donc demain matin à la premiers heure. II est temps, aujourd'hui mon fidèle ALI nous a servi une bouillie faite de riz et de haricots qu'il a ohipés dans une case de nègres, et du manioc frit dans la poêle. Je me suis tout de même rattrapé et déjlcté en arrosant un biscuit de miel, mais hélas ! plus de vin, il reste encore du café;
Je puis le sucrer grâce, grâce au kilogr. d sucre que JOSEPH a bien voulu mettre dans le colis qu'il ma adressé ! Nous buvons, voire même un bon quart de thé, toujours des muni tions du colis de mon cher frangin et de sa chère femme.
6 Mai. - Nous avons fait du chemin depuis le 4; nous voilà maintenant à Krebedjé.
le 5, avec 35 porteurs, nous avons quitté les Ungourras; à 11h, nous étions à M'POKO à 24km; après avoir sommairement déjeuné, mais porteurs d'un coq et de 2 poulets que ALI achète au village nous quittions ce poste à 1 heure. Là, j'héritai d'un singe, race des pleureurs, que je baptisai du nom d'ABDULLAYE et qui désormais fera partie de la caravane et viendra même en France, s'il ne me quitte pas.
A 7 heures le soir nous arrivions à KRBEDJE par une nuit noire, à 26km de M'Poko. Nous étions éreintés; mon cheval ne me portait plus et j'ai marché plusieurs heures à pied pour le soulager.
Après M'PoKO le parcours a été plus intéressant: ci et là, des cases de travailleurs, -ex-soldats indigènes ou vulgaires nègres purgeant une condamnation et employés à la construction de la route. Plusieurs d'entre eux, venant du Chari, ex-tirailleurs, spahis ou artilleurs, nous reconnaissent et nous demandent des nouvelles de leurs amis, de leurs femmes. Ils sont là sous la surveillance de quelques Artilleurs Européens; nous ne pouvons voir ces derniers qui sontf à la chasse à l'éléphant, nous disent les prisonniers.
Ces deux derniers jours, nous avons trouvé une région vraiment pittoresque; le chemin court dans une foret, puis dans, des collines boisées, fortement en remblai et à flan de coteau, se perdant dans des ravins profonds où il faut faire des prodiges d'équilibre pour ne pas se laisser choir. Les ponts sont démolis ou d'une solidité douteuse. On admire aussi des arbres d'une taille gigantesque , atteignant plu de 70 mètres de hauteur et plus de 12 à 15 mètres de circonférence à la base, se dressant droit comme un mat. Quelles belles pirogues taillerait-on- dans ces arbres !
La houvelle route ne suivra pas toujours le chemin actuel à cause des difficultés du terrain; elle s'étend avant KREBEDJE sur une vingtaine de kilomètres seulement. Ah ! les travaux ne vont pas vite dans ces pays noirs!
Nous trouvons au poste qui- est le chef-lieu du secteur, outre l'Administrateur PUJOL, avec lequel nous avons eu le plaisir de dîner ce soir et de parler de Marseille - avec un Marseillais -et le Commis aux Affaires Indigènes de GUILHEM, -le Capitaine PAYN qui va prendre le commandement de l'Escadron de Spahis ,le Capitaine d'Infanterie Coloniale, 2 Lieutenants et des sous-officiers.
Le poste de Krebedjé a été embelli depuis deux ans. Le Jardinier M.- MARTRET, venu avec la mission CHEVALIER, a fait un immense jardin et des fleurs de France, que j'ai la Joie de revoir, sortent coquettement. La basse-cour possède des coqs et poules et des canards de France de toute beauté !
11 Mai. - J'ai quitté Krebedjé le 8 Courant en empruntant la voie d'eau sur la TOMIE, affluent rive droite de l'Oubanghi, je n'ai pas eu ainsi à subir les ennuis et les attentes que cause le portage par homme. II eut été assez difficile en ce moment de trouver des porteurs, car nous sommes dans la région des M'Brous, qui,avec les Mandjias, se révoltèrent il y a un mois à peine contre les blancs . La colonne du Lieutenant MANGIN, avec 70 tirailleurs a tenu le pays et à la suite de quelques rencontres où des indigènes furent tués et quelques tirailleurs blessés, ainsi que le lieutenant MANGIN et l'administrateur TOqué, la révolte fut étouffée.
Avec 3 pirogues et 3 équipes de pagayeurs Yakomas, nous avons descendu la Tomie en 4 jours.
Je tenais la tête chaque jour, ma pirogue bien plus petite que les autres et bien armée filait rapidement, mais à coté de cet avantage de vitesse se plaçait l'inconvénient de ne pouvoir mettre dans ma pirogue trop étroite ma chaise longue. J'ai dû passer ces 4 journées de navigation allongé sur des feuilles d'arbre, la tête sur une caisse et continuellement les jambes et l'arrière-train dans l'eau qui embarque trop facilement dans d'aussi frêles embarcations.
Les rives de la Tomie sont garnies de villages et à peu près semblables à celles du Gribingui, c'est-à-dire boisées. La rivière a à sa plus grande largeur environ de 25 à 30 mètres; elle coule assez d'eau en cette saison pour permettre même la navigation en baleinière. C'est donc une voie sûre, plus rapide, évitant le portage, que celle de la Tomi pour se rendre de la Kémo à Krébedjé et pour faire passer le ravitaillement. En mon tant la rivière il faut compter siz jours et on peut la descendre en trois. II serait urgent, pourtant, que 1'Administration fasse débarrasser la Tomie des arbrea renversés qui obstruent le passage et des autres obstacles artificiels- Plusieurs fois la marche de ma pirogue a été arrêtée par ces arbres tombés ou prêts à tomber et dont les branches énormes cassant le schimbek de l'embarcation menaçaient de nous faire chavirer, si bien que j'ai du supprimer cet abri et marcher 4 jours la tête au soleil, dans une étroite pirogue où je ne pouvais faire un seul mouvement que celui de tremper ma serviette dans l'eau pour la placer sous mon casque. Sans cette précaution, je piquerais le plus bel accès de fièvre connu. La Tomie n' a que quelques rapides insignifiants, presque sans danger; le ravitaillement est donc assuré par les eaux et les transports de passagers sont également sûrs.
.-J'ai vu pendant ces quatre jours une double pêohe bizarre; le pêcheur était un oiseau de proie qui rasant la surface de l'eau, y saisissait parfois dans ses griffes un gros poisson qu'il venait aussitôt déposer sur une branche d'un arbre voisin après l'avoir tué à coups de bec. Un second pêcheur en la personne de nos yakomas guettait le départ de l'oiseau allant chercher un autre butin, se jetait à l'eau, grimpait sur l'arbre et rapportait le poisson pêché par l'oiseau. Cet exercice se renouvelait plusieurs fois dans la journée.
Le 9, nous passâmes au poste de M'Brou, situé sur la rive droite de la Tomie à 1 kilomètre environ. Un blanc, administrateur-adjoint s'y trouvait. Heureux de nous voir, il nous rafraîchit avec de l'eau additionnée d'alcool de menthe, et de miel. ll nous raconta que les populations étaient calmées et que la tournée qu'il faisait chez les M'Brous était faite pour les rassurer, il allait y régler quelques palabres existant entre chefs, destituer les mauvaîs, les remplacer par ceux acquis à notre cause, en un mot il espérait pouvoir rétablir le.portage dans la région et amener les indigènes à se rapprocher du poste. Devant la case de ce blanc, se trouvaient en effet quelques chefs indigènes venus pour le saluer avec les cadeaux ordinaires: poulets, oeufs et pot de miel.
Mai 1904.- Ce jour-là, nous croisâmes d'autres pirogues porteurs de ravïtaillement et montées par de jolies femmes "BANZYRÎS, au visage agréable et au corps bien roulé.
Plusieurs d' entre elles pagayaient et maniaient pagaya avec habileté.
Sur les rives de la Tomie sont placés de loin en loin par les indigènes des pièges d'éléphants, faits tout simplement et grossièrement, aux endroits suivis par l'animal pour aller boire.Ces pièges se composent d'une poutre en bois, suspendue à une forte branche d'un arbre, qui se termine par Un morceau de fer pointu ou contondant et qui, par un mécanisme quelconqvs, tombe lourdement sur le dos de l'éléphant. Celui-ci passant sur des lianes qu'il dérange, fait déclencher l'appareil. L'animal ainsi pris est loin d'être tué, mais il est blessé et avant qu'il n'ait pu se dégager, quelques noirs cachés dans la brousse, armés de sagaies, accourent aussitôt et percent l'éléphant de leurs lances.
La Tonie reçoit les eaux de quelques petits affluents et se jette dans la Kéno qui donne ses eaux à l'Oubanghi, à 40km environ de Fort de Possel (de l'embouchure avec l'Oubanghi).
La dernière journée de cette navigation fut partiirulièrement pénible. Depuis le satin, mes pagayeurs m'assuraient que nous arriverions à Fort de Possel vers 6 heures du soir si je ne m'arrêtais pas du tout de la journée, pas même à 11 Heures pour déjeuner. J'acceptai cette proposition etj'avalai mon biscuit et quelques sardines dans ma pirogue et ma ration de 23cl de vin. A 6h du soir, nous entrions dans la Kemo ,j'ignorais à ce moment que Fort de Possel était à 40km du confluent et je continuai pensant arriver avant 8 heures du soir. c'était aussi le dire de mes pagayeurs ! Derrière moi, suivaient les deux pirogues de BAUDIN et de l'adjudant COLAS!... A minuit, sans lune et dans l'obscurité la plus complète, je naviguais encore. Rien dans le Ventre que mes sardines du matin, j'étais plutôt féroce à l'égard de mes pagayeurs qui m'avaient menti et ma chiccotte à la main, j'en distribuai des coups à ces brutes, à ceUx qui étaient à portée de ma main, car il ne fallait pas songer à se lever par cette nuit noire dans la pirogue. Je sus me calmer car je compris que s'ils craignaient mes coups, les pagayeurs rameraient avec moins d'attention et l'heur et la rivière n'étaient pas choisies pour marcher au petit bonheur. Si la Fémo était comme la Tomie, je risquais fort de voir ma pirogue renversée par un arbre abattu caché dans l'eau et que la nuit empêcherait d'éviter; je restai donc tranquille et pris mon malheur en silence. Vers une heure, il me fallut m'arrêter; une tornade furieuse avec pluie, sans vent heureusement, rendait la marche en avant plus dangereuse. Par cette nuit noire, il me fut impossible d'accoster; je fis arrêter et amarrer la pirogue à une forte branche à la rive et je restai dans la même position assise, les jambes dans l'eau qui emplissait la pirogue, le corps trempé jusqu'aux os, pendant deux heures entières que dura la tornade. Quelle nuit !
mon Dieu ! J'étais gelé et ne pouvais bouger; je pensais à l'accès de fièvre forcé qui allait suivre et. je distribuais toutes les malédictions de la terre à mes 8 nègres et leur promettais n+ 100 coups de bâton pour le lendemain. Eux, aussitôt arrêtés, s'étaient endormis dans la pirogue, insoucieux de la pluie, complètement nus d'ailleurs et ne m'écoutant plus. Je pensais parfois à BAUDIN et à COLAS. Qu'avaient-ils fait? Etaient-ils dans une aussi triste position que la mienne ou s'étaient-ils arrêtés pour camper avant la tornade? J'éfais là de mes réflexions, crevant de faim et de froid, mes couvertures é-tant ainsi que des éponges mouillées, quand j'entendis un bruit de rames dans l'eau. II pleuvait moins, c'étaient les deux pirogue qui arrivaient: BAUDIN et COLAS aussi furieux que moi, étaient dans le même état que moi. Je fis remettre en marche ma pirogue et nous descendîmes tous trois le courant en silence; sauf l'adjudant COLAS qui ne cessait d'invectiver les noirs, à peine éclairés par moments par de courts éclairs et sûrs de nous coller d'un instant à l'autre sur un rocher ou un arbre...
Il n'en fut rien! À 4 heures du matin, nous arrivions sur l'0ubanghi et débarquions au poste. Faire allumer aussitôt de grands feux fut notre premier soin, me changer fut bien différent car la cantine qui renfermait mon peu de linge était pleine d'eau. Je me dévêtis completement et me collai dans le feu. J'absorbai aussi plusieurs tasses de thé brûlant que mon bon ALI s'empressa de nous faire et quand le soleil se leva nous nous retrouvâmes tous les trois couchés par terre autour d'un bon feu qu'entretenaient nos boys.
Le chef de poste, M. KIEFFER, prévenu à son lever, vint nous trouver et je lui empruntai une chemise et un pantalon. Réchauffé et sec, je coupai à l'accès fiévreux, mais j'avais avalé 75cg de quinine.
Dans la journée, le chef de chaque équipe des pagayeurs, reçut par les soins d'un sergent sénégalais une correction méritée.
ALI étendit au soleil tous mes bagages et, le matin venu, à midi, devant la table bien garnie du chef de poste, nous avions déjà oublié les tristes heures de cette longue nuit.
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13 Mai. - La Kémo, ainsi appelée du nom de la rivière a aussi le nom de Fort de Possel (Maréohal dee Logis d'Artillerie, tué à l'ennemi en fin 1899 au combat de KOUNO (Chari)), est un poste important, il sert de point de transit pour le ravitaillement destiné au Haut-Oubangi et au Chari-Tchad. La factorerie Hollandaise existe encore; l'agent, homme trèsaimable, m'a vendu hier pagnes et colliers de perles que j'ai confiés à un adjudant d'Infanterie Coloniale qui se rend à Fort Lamy, pour les porter à ma femme, la jeune Fatmé.
quelle Joie pour elle au reçu de au reçude ces objets, rares au Tchad. J'ai rendu hier un dernier hommage aux sous-officiers européens et aux soldats indigènes qui ont péri dans le naufrage sur l'Ouganghi le 9 Juillet 1902, duquel je fus-témoin. Le sergent MUREZ est enterré ici avec une quinzaine de tirailleurs. Quant au sergent DUFRESNE, son corps a été retrouvé en aval de la Kémo et il a été inhumé à la factorerie de OUDDA.
15 Mai. - Je suis arrivé au village de MOBOTA, sur l'Oubanghî, vers 4h ce soir. Je suis seul depuis le 13 où j'ai quitté la Kémo et où j'ai laissé BAUDIN qui attend là un de ses camarades qui descend du Haut-Oubanghi. L'adjudant a quitté Fort de Possel le 13 au matin pressé comme moi d'arriver à Bangui afin de ne pas manquer le steamer qui doit nous mener à la côte.
A Fort de Possel, j'ai oublié de parler du sultan ÂCYL, le Ouadaïen que nous avons fait prisonnier en Juin dernier dans le Debaba et que le Commandant a expatrié loin des siens; Ce pauvre ACYL est bien navré de l'existence qui lui est faite, entouré ici de ses 2 femmes et de 3 ou 4 serviteurs fidèles; il s'ennuie à mourir et quoiqu'il ne l'avoue pas, il doit maudire les Blancs, les Roumis qui lui ont enlevé trône, puissance, famille et soldats, il m'a dit n'avoir de plaisir que quand passent à Fort de Possel des blancs descendant du Tchad, qui l'ont connu et qu'il connaît, qui viennent le voir et qui lui donnent des nouvelles du Ouadaï. Connu d'ACYL, ma visite lui a causé une joie très grande; je lui ai offert du thé, du café, du sucre; en retour, il m'a assuré de son amitié pour les Spahis.
Hum! est-ce bien sincère ? C'est à l'Escadron qu'il doit d'avoir été coffré.
J' espère que le nouveau Commandant des Troupes le rapprochera de Fort Lamy, où il lui serait possible de revoir ses frères et ses enfants.
J'ai passé la soirée du 15 et le 14 au poste, belge de MOUKO-ANGE, rive gauche, ohez le Lieutenant BOUKNAER, un excellent garçon, qui m'a fait un accueil charmant ..et qui a réussi, tant il a été aimable, à me garder une journée et demi dans son poste admirable d'ailleurs, aux bâtiments grands et meublés où se trouve un bien-être inconnu dans aucun des postes du Congo français. Un jardin potager où aucun légume ne manque, des fruits à foison, de belles plantations de caoutchouc, une basse-cour complète, des boeufs et des vaches laitières. Bref, je fus émerveillé de tout ce que je vis.
Dans la journée, plusieurs chefs de village vinrent apporter l'impôt: manioc, caoutchouc, ivoire en échange duquel le Commandant du poste distribue étoffes et autres objets, ce qui paraît être un échange alors qu'il y a réellement impôt, c'est-à-dire que les belges obligent les indigènes à fournir,à des époques déterminées, les denrées ou produits nécessaires, que l'Administration leur paie à son gré, à une valeur insignifiante; mais l'indigène ne retourne jamais dans son village sans rapportel quelques pagnes, glaces, fils, boutons etc etc.. qu'il a touché des blancs. Cet échange forcé et qui n'est pas à son profit, lui paraît en somme moine lourd; on lui fait comprendre, aisement le pourquoi de cette obligation et il s'y soumet; le contraire existe sur notre rive où la façon de procéder est plus maladroite et où la perception de l'impôt (qui ne date que d'un an ou deux) soulève des révoltes chez nos indigènes parce que ceux-ci croient à un vol de notre part, ne voulant pas comprendre qu'ils nous apportent eux de leurs produits et que nous les y forcions, sans ne rien leur dpnner en retour, si peu de chose que ce soit.
Le poste de Moukoangé est sur la rive même de l'Oubanghi et il est limité à l'est par la petite rivière, la BEMBE; toutes ces eaux en font un coin délicieux. Mon ami BOUKNAER (car, en une journée, nous sommes devenus avec cet officier belge, d'excellents amis), m'a montré aussi une superbe défense d'éléphant d'un poids de 64 kilos. J'ai quitté ce poste avec regret car j'y avais trouvé un hôte charmant, bonne table, bon gîte, et le reste (une saine et fraîche négresse).
A 6 heures du matin je quittais Moukoangé et passais aussitôt un premier rapide, mais, une heure après, vers 7 heures, vint le fameux rapide dit de "l'éléphant",de sinistre mémoire, celui redouté de tous les voyageurs de 'Oubanghi.. ..Aussi m'empressai-je de faire comme deux ans auparavant, c'està-dire, de descendre sur la rive et de me porter à pied 2 ou 300 mètres plus loin où ma pirogue vint me reprendre quand le rapide fut franchi.. Pas d'accident à signaler pour cette journée; il ne me reste plus qu'à franchir les rapides devant Bangui et je pourrai alors me considérer hors de danger.
Entre FORT de POSSEL et MOBOTA, la rive française est garnie de villages BONDJOS, race dont on se méfie toujours; quoique apparemment soumise sur la rive, elle reste hostile aux blancs dans l'intérieur et mérite toujours son renom d'anthropophage. IL n'est pas douteux que ces coutumes déplorables sont encore en honneur dans l'Intérieur (quand je dis dans l'intérieur, je veux citer à 20km à peine de la rive) des faits continuels et dont les Européens sont encore, malheureusement, victimes (il y a un an à peine, l'agent colonial de LIVRY fût tué et mangé près de Bétou.) en sont des preuves indéniables !
Je couche ce soir dans le village de MOBOTA, au milieu de ces sauvages, mais il n'y a rien à craindre, la vue de ma seule carabine les éloigne et a raison de leur force herculéenne car ce sont des hommes remarquablement bâtis. Tout ce qu'ils chercheront surtout à faire, c'est à me voler; surtout les gamins, les parents les envoient rôder autour des caisses du blanc et ceux-ci ont vite fait de prendre ce qui traîne ou ne traîne pas. Mais je connais tous les tours de ces sales nègres, aussi je recommande à ALI d'user de la chicotte sur tous ceux qui approchent de lui. ALI, en boy de blanc a connaissance de sa supériorité, aussi d'un air entendu et en regardant avec mépris tous ces négrillons qui m'entourent et me regardent écrire, il me dit: "Mon Lieutenant, moi y a connais manieres pour sauvages" et, armé de la chicotte, il commence quelques moulinets pour faire entendre aux sauvages (comme il les appelle) qu'ils aient à garder leur distancé.
Je reprendsla plume ce soir à la bougie pour noter que j'ai eu le plaisir de passer la soirée avec 4 sous-Officiers d'Infantérie Coloniale et un d'Artillerie Coloniale, le Maréchal des Logis GRENiÉR lequel est un de mes amis1 d'Ecole . Avec lui, nous nous sommes retrouvés après dix ans de séparation. Ils sont arrivés en baleinière, ce soir à 6 hëures au moment où j'allais me mettre à table; j'éntendis les chants des pagayeurs. Je fus surpris et heureux de leur arrivée impromptue. C'est encore moi qui ai gagné à la rencontre, car j'ai dîné avec ces sous-officiers, lesquels venant de France, avaient de bonnes conserves, du bon vin, du Champagne et du bon tabac. -Aussi je vais me coucher bien content. Demain matin, nous nous quittons de nouveau, eux allant vers le Chari, moi vers la France !
16 Mai. - Me voilà à BANGUI depuis ce matin à 10 heures. J'y suis arrivé sans encombre et j'ai passé le rapide sans quitter la pirogue. J'aurais pu descendre à la Mission des Pères, et me rendre au poste à pied, mais j'étais fatigué et je suis resté sur l'0ubanghi. Depuis le matin, j'ai reçu la pluie sur le dos et j'avais hâte d'arriver pour me mettre au sec.
Pas trouvé de steamer ici: il n'y est pas encore arrivé et n'y viendra pas, dit-on, car les eaux sont encore trop basses pour permettre au vapeur de monter l'Oubanghi jusqu'au Bângui.
Cette nouvelle ne me sourit qu'à demi, car je croyais bien en finir avec la pirogue et en ce cas, il faut encore que j'en fasse une journée et demi pour me rendre à MOUGOUMVA, point où les vapeurs s'arrêtent en cette saison.
Toujours même trou, ce Banghi, aussi malsain et peu agréable; quelques vilaines cases pour passagers resserrées entre les rochers et le fleuve. J'espère n'y pas faire long feu, aussi si j'ai une embarcation demain, filerai-je bien vite- vers le- vapeur
Le sergent, agent des postes, chargé du transit, m'a remis quelques lettres: mais je ne trouve toujours pas ma caisse de vêtements militaires qui m'a été expédiée de France le-15- Septembre- dernier et que-je n'ai jamais reçue. Elle doit être en souffrance à Matadi et j'aurais bien besoin actuellement des effets qu'elle renferme.
Il y a à Bangui un administrateur, deux commis des Affaires Indigènes, un douanier. Ca sent la métropole, voici des gabelous. J'apprends que Bangui va recevoir un Capitaine, un Lieutenant Trésorier, un Docteur et quelques magasiniers coloniaux. La nouvelle organisation réforme tout, celà va sans dire; le Trésorier-Payeur, qui est à Fort Archambault, va venir à Bangui. C'est donc ici que les militaires se feront, àl'avenir régler leur situation pécuniaire, à leur retour du Chari-Tchad ou del'Oubanghi, Sangha etc,etc...
Je me demande pourtant, en voyant le coin choisi comme poste à Bangui, entre des rochers abrupts et le fleuve, comment on va s'y prendre pour loger tous les blancs qui habiteront Bangui. Et qu'y mangeront-ils dans se rocher? -Pas de volaille, pas de bétail, pas de place pour un jardin ?? Plus en amont de Bangui est un plus bel remplacement, il est pris par la mission; plus en aval, encore, un assez bon terrain occupé par des.factoreries Hollandaises et françaises.
Aujourd'hui 17, BAUDIN avec son ami BERTRAND, interprète arabe dans l'Oubangui auprès des Sultanats, arrive à Bangui. BERTRAND est Algérien, et rentre après 40 mois de séjour. Nous allons donc continuer le voyage en France à trois.
19 Mai. Ce matin, vers 10 heures, nous arrivions à MONGOUMBÂ; en même temps que nous arrivait un steamer "Brazzaville" Ah! joie de voir enfin un petit vapeur! A bord se trouvaient plusieurs Officiers et sous-Officiers allant au Chari et dans l'Oubanghi: le Commandant GOUREAU qui doit remplacer au Tchad, le Commandant LARGEÀU. Nous nous présentons aussi à lui et lui donnons des renseignements sur la situation au Tchad. Nous sommes invités à sa table ce soir.
25 Mai. - De Bangui à Mougoumba, nous avons traversé encombre le rapide de Zinga; bientôt, avarnt quinze jours, le» vapeurs pourront le franchir car 3 pointes de rochers seulement émergent de l'eau.
A Zinga, je suis descendu pour dire un dernier adieu à un sergent major, enterré là en avril 1902 et où je sais le lieu inhabité. En effet, ni blanc ni noir n'habitent Zinga, la brousse a poussé haute et fournie autour des cases en ruines et c'est avec peine que je trouve au pied d'un arbre la croix de bois qui m' indique où repose ce soldat oublié déjà de tous !
Moi, je sais que là est MARSOLLIER, mais aucun nom ne le dit au passant, et qui serait ce passant d'àilleurs qui, fatigué, sur le fleuve penserait à venir là trouver sous la brousse épaisse le camarade mort au Service de la patrie. Nul ne s'en doute, puisque les blancs, voisins de cet ancien poste,-les administrateurs
(et il n'y a pas dans la région de militaires) qui savent ou doivent savoir qu'à Zinga est enterré un sergent-major, l'abandonnent complètement. Bangui, siège de résidence de l'Administrateur à quelques heures à peine de ce lieu, possède un cimetière où reposent une vingtaine de blancs et où les soldats morts ont reçu la croix du "Souvenir Français"; personne n'a songé à MARSOLLIER qui dort son dernier sommeil dans la brousse où les fauves le déterreront un jour - si ça n'est déjà fait - et qui n'a pas comme ses semblables la croix de fer du "Souvenir Français".
Un sentiment de pitié et de dégoût des choses d'ici-bas s'est emparé de mes deux amis et de moi à la vue de cette croix à demi-pourrie, étouffée dans les ronces et les herbes. Mon boy a remis à découvert cette sépulture et mes amis et moi avons quitté ce triste lieu en saluant notre camarade oublié. En reprenant le chemin du fleuve, nous nous demandions tous les trois quel était bien le coupable et s'il y avait négligence ou ignorance! en ce cas!..
Le soir, nous nous arrêtons à KEITA où l'agent de la factorie nous offrait l'hospitalité sous une etroite véranda pour passer la nuit. Heureusement qu'il n'y plut pas ! C'est désolant de constater que des Français établis depuis plusieurs années au Congo, n'ont pas fait construire auprès de leur factorie une case pour y abriter les passagers, surtout en saison des pluies. Le matériel et la main d'oeuvre et le temps coûtent si peu dans ces pays pourtant !
N'en est-il pas de même à Mougoumba où les militaires et fonctionnaires attendent souvent pendant plusieurs jours le steamer ou les embarcations pour continuer leur route et où on n'a pas même aménagé un hangar, une simple case pour les abriter. Tous ici, sont logés à la belle étoile et au petit bonheur dans la brousse au bord de l'eau et c'est pourtant ici un point de transit,d'embarquement| de débarquement. Je ne sais qui accuser du Directeur de la Compagnie qui a son siège et sa' factorerie ici ou de l'Administration civile, d'une aussi grave et coupable négligence. Le premier, le Directeur de la Société de la Lobay gagne énormement en vendant aux passagers liquides et conserves ou étoffes et pourrait donc mieux les recevoir en leur réserantv un local dont la construction ne coûte que la peine d'y employer quelques nègres...
Le second, l'Administration qui, elle, a le devoir de s'occuper du bien-être des passagers qui passent sur son territoire et ne fait construire aucun abri en un point où soldats et fonctionnaires sont exposés à passer plusieurs jours au soleil et sous les tornades.
C'est le cas qui nous occupe: nous sommes en ce moment à Mougoumba plus de vingt mille passagers Européens qui logeons dehors sous des abris improvisés (BAUDIN et moi qui
avons acheté passablement de vivres à la Compagnie, sommes favorisés et logeons dans une case.
Mougumba estt situé près du confluent de la Lobay avec l'Oubangi. Il est dans la concession accordée à lasociété de la Lobay, laquelle possède d'auIres factories dans , sur les rives de la Lobay et dans les terres. Le directeur nous met au courant de la mauvaise situation que traverse la société actuellement par suite de la révolte des noirs de la concession, sur divers points. Tout recêmment, nous dit-il, le 15 Mài, la factorerie de Loko surla Lobay à une journée de pirogue de Mougooumba était attaquée et pillée par les indigènes et l'agent blanc n'avait eu que le temps de s'enfuir. Une garde de milice et miliciens s'y sont rendus pour rétablir 1'ordre, mais les miliciens mal recrutés, mal instruits, refusent, paraît-il,de marcher, ont peurdes indigènes qui eu ont des fusils (fusils pillés par ces nègres dans d'autres factoreries de l'intérieur mises à sac). D'autres factoreries plus en amont de celle de Loko sur la Lobay ont été aussi attaquées, et le Directeur est sans nouvelles des agents blancs depuis près de 15 jours. Situation inquiétante en somme, une colonne militaire s'impose, les indigènes révoltés gui sont des Bagas ont besoin d'une sérieuse leçon et les chefs d'être passés par les armes.
Mais la milîce, paraît-il, n'est pas en état de faire cette répression. le Directeur d® la Société attend 1*Administrateur de Bangui pour le prier de réquisitionner 40 Tirailleurs Sénégalais qui accompagnent le Conmandant GOUERAU.
Pendant que je me trouve ici, un petit vapeur, l'Âlsace monté par le Directeur de la Lobay, un autre Directeur de le Société Baniembi et un mécanicien européen avec quelques fusils, parti pour Loko afin de porter du renfort au garde-milice et à l'agent revient après deux jours d'absence et déclare avoir reçu des indigènes tenant les rives de la Lobay plusieurs coups de fusil . Ils sont très nombreux e leur audace augmente, ne se voyant pas poursuivis.
Ah ! quelle bonne danse que leur ferait sauter une. cinquantaine de tirailleurs avec leur 86, à ces sales suvages, auxquels on ne demnde ici que du travail qu'on leur paie bien ! J'espère que bientôt l'ordre arrivera du gouvernernement de Brazzaville de faire maroher une Compagnie sur cette région; il ne faut pas, plus longtemps, laisser en danger la vie de quelques commerçants et laisser croire à de tels sauvages qu'ils sont les plus forts. Mais, le mal est toujours qu'on se décide trop tard à donner des coups de fusil.
II y a actuellement à Mougoumba 3 steamers et nous n'avons pu encore partir; Un a essayé de passer le rapide de Zinga et s'y est échoué. Nous pensons partir d'ici le premier Juin; heureusement qu'on achète à mnager à la Société, sans cela, ce ne serait pas
gai. Mais plus rien à boire ! la factorerie n'a pas assez de vin pour nous en céder hélas !
Cependant, le Capitaine RIVIERE, de l'Infanterie Coloniale,'qui nous plaint en nous voyant boire de l'eau et qui vient de France,nous offre une caisse de 12 Bouteilles de vin que nous acceptons avec enthousiasme. Vive les Marsouins !
2 nouveaux sous-officiers vont à l'Escadron de Spahis; le Cadre est renforcé.
L'adjudant COLAS est alité, sérieusement atteint d'une bilieuse mais il a la chance d'avoir les soins d'un docteur. Nous quittons tous le 2 Juin sur le steamer: "Colonel KLOBB" (à la mémoire du Colonnel qui fût tué par la mission Voulet-Chamainé) la factorerie de Kougoumba.
Heureux comme des rapatriés en bonne santé en général, munis de vivres et de liquides et de bon tabac (aperçu des prix aux factoreries: pernod 12f; 1/2 Champagne 5f50; tabac 75cmes le paquet, une cage de poules, 2 cabris etc ..
Nous allons prendre place cette fois assez à l'aise, sur un vapeur, puis ce sera le chemin de fer et puis enfin le grand bateau pour Bordeaux.
J'arrête ici les notes de mon voyage, le début de mon journal relatant ma navigation sur l'Oubanghi et le Congo en Juin 1902.
Le-10- Juin à 9 heures du matin, nous débarquons à Brazzaville. Le Colonel KROBB a pris quelques agents commerciaux en route et a marché vite et bien. Nous avions aussi à bord quelques viïains ohimpanzés, pris dans la forêt par les noirs, le Capitaine du steamer va les vendre. Ici, on en demande, dit-on, pour l'Institut PASTEUR pour des études contre la syphilis.
J'ai longuement parlé de Brazzaville lors de mon passage; je me contente donc de signaler que la population française y a augmenté, que la ville a pris ds l'extension, que le commerce semble bien marcher; que c'est le siège du Gouvernement, donc Brazzaville gagnera au détriment de Libreville - On y est mieux logé qu'il y a deux ans; les Européens ont de jolies maisons au bord du fleuve avec jardins ooquets.
Le centre- de Brazzaville laisse encore à désirer comme entretien des avenues; la brousse côtoie trop les maisons, la place du marché où grouillent noirs et négresses a besoin de sérieuses améliorations.
Mais il faut remarquer que tout est en train, on travaille à Brazzaville, les indigènes viennent vendre leurs produits, et achètent beaucoup les articles Européens. Les magasins sont nombreux dans la ville de Brazza et la vente m'a paru marcher,
19 Juin. - Le 16, nous ayons passé le POOL et avons couché à KINCHASSA (belge). Le 17, à 7 heures, nous prenions le train qui nous conduisait coucher à TOMBA, d'où nous repartions le 18 sur MATADI où nous arrivions à 4h du soir.
Même voyage, même trajet sur le chemin de fer Congo Belge qu'à mon arrivée dans la Colonie.
A Matadi, j'apprends que ma caisse d' effets est partie pour Brazzaville. Quelle guigne ! Elle reste ici 8 mois en souffrance et quand j'arrive, elle n'y est plus ! Me voilà bien loti sans tenue neuve.
Le 19 Juin, je quitte Matadi à bord de la "Ville de MARANHAO" dans uns cabine de première classe. Je m'embarque la joie dans l'âme, en bonne santé, en ne pensant déjà plus aux mauvais jours passés au Tchad, tout entier à l'ivresse du retour prochain dans la Mère Patrie. F I N
A bord du "MARANHAO 19 Juin 2004 -
Débarqué à Bordeaux, le 22 Juillet, à 10 heures du matin.
Mon frère aîné Joseph et mon second frère Gaston m'attendaient au débarcadère. Quelle joie de nous retrouver !